Yannick Jadot : « Cette lubie nous fait perdre du temps »

Avec le gaz de schiste, l’Europe s’illusionne sur le retour d’une énergie abondante et bon marché.

Patrick Piro  • 30 mai 2013 abonné·es

L’engouement marqué par certains pays européens pour l’exploitation du gaz de schiste occulte, selon Yannick Jadot, les difficultés économiques liées au secteur déjà apparues aux États-Unis et les dangers environnementaux.

Le dernier Conseil européen vient d’adopter des positions favorables à l’exploitation du gaz de schiste. Est-ce une surprise ?

Yannick Jadot : Pas vraiment, hélas. Nos positions sont fréquemment battues ces derniers temps à l’échelon européen. Une contre-révolution libérale est en marche sur le continent, et elle touche, entre autres, le domaine de l’énergie. L’UE affichait jusque-là des ambitions d’économies d’énergie et de développement des renouvelables. Et nous voilà replongés dans une vision du début des années 1970 : en lorgnant sur le gaz de schiste, les dirigeants européens voudraient nous faire croire que l’époque de l’énergie abondante et peu chère peut revenir. C’est le fantasme du retour à la croissance d’avant, et un déni des problèmes environnementaux. Certaines voix demandent même un arrêt des subventions aux énergies renouvelables. La menace provient aussi des accords de libre-échange en discussion entre l’UE et les États-Unis, mais aussi avec le Canada : ils visent, comme dans d’autres domaines, à faire sauter les entraves à l’investissement des compagnies minières nord-américaines, à l’importation de gaz de schiste en Europe, etc.

Les entrepreneurs font régulièrement référence au rôle majeur joué par le gaz de schiste, bon marché, dans le renouveau industriel états-unien…

Encore une manifestation de déconnexion du monde réel ! Comme si l’Europe ignorait qu’il existe désormais une bulle financière du gaz de schiste aux États-Unis, que des compagnies y perdent des milliards de dollars, que d’autres revendent leurs puits, que toutes veulent obtenir des augmentations du prix de vente pour s’en sortir, et cela avant même que l’Environmental Protection Agency n’ait encore édicté des normes environnementales qui pèseront sur l’économie du secteur. Quant au bénéfice pour l’emploi, il est bien faible : le forage de 500 000 puits n’a créé que 600 000 postes.

L’UE affiche l’ambition d’une « Europe de l’énergie ». Ne serait-elle pas utile ?

C’est un vieux discours, le Conseil n’a fait que le répéter. Mais on a surtout entendu s’exprimer le nationalisme énergétique. Aucun pays n’entend se laisser dicter sa conduite sur ses filières : la Pologne tient au gaz de schiste, la France s’accroche au nucléaire, etc. Et puis on a beau jeu de mettre en avant la nécessité d’investir massivement dans les infrastructures énergétiques ! En février, le grand projet « prioritaire » d’interconnexion des réseaux de transport, de télécommunication et d’énergie, entre le Nord et le Sud notamment, a vu son enveloppe de 40 milliards d’euros asséchée par les économies demandées pour le budget européen de la période 2014-2020 en cours de discussion. Si je suis convaincu, au fond, que la réalité économique et écologique rattrapera le gaz de schiste, et que l’Europe ne suivra pas la voie états-unienne, cette lubie risque de nous faire perdre beaucoup de temps et de distraire des budgets précieux alors que nous discutons des vraies urgences : les prochains objectifs énergétiques et climatiques. Après le « paquet 3 fois 20 en 2020 » adopté en 2009, il faudrait passer à un « 3 fois 45 en 2030 » : 45 % de réduction des émissions de CO2, de gain d’efficacité énergétique, et de part prise par les énergies renouvelables.

Écologie
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