« La Vie domestique », d’Isabelle Czajka : Entre les murs

Isabelle Czajka dresse le portrait de femmes au foyer. Implacable.

Christophe Kantcheff  • 2 octobre 2013 abonné·es

L a Vie domestique, c’est « 24 heures de la vie d’une femme » qui, pour l’essentiel, ne quitte sa maison que pour accompagner les enfants à l’école et faire les courses au supermarché. Telle est en effet l’existence de Juliette (Emmanuelle Devos) et de ses « semblables », Betty (Julie Ferrier), Marianne (Natacha Régnier) et Inès (Helena Noguerra), des femmes comme elle, sans travail sinon celui de s’occuper de la famille. On pourrait s’attendre, résumé ainsi, à un naturalisme misérabiliste. Il n’en est rien. D’abord parce qu’Isabelle Czajka a choisi des personnages de la classe moyenne, habitant la grande banlieue parisienne. Aucun problème d’argent : le mari de Juliette, Thomas (Laurent Poitrenaux), est directeur d’un établissement scolaire, et ses amies vivent avec des hommes aux revenus aussi confortables. Ensuite, parce que la cinéaste a évité les situations critiques ou caricaturales : les maris sont aimants, et aucune crise sérieuse n’est en train de bouleverser leur vie.

Et pourtant. Pourtant la Vie domestique dresse un constat d’une violence aiguë, d’autant plus aiguë qu’elle est ordinaire et ne semble imposée par personne. Juliette, débarrassant la table du petit-déjeuner, prenant le thé avec ses amies, devant penser à tout pour le dîner, s’est installée dans une prison dorée, dont son mari est incapable de voir les barreaux.

Les plus beaux moments de ce film subtil, qui croise le regard sociologique et l’esprit féministe, où la domination masculine s’exprime en douceur, ont lieu quand Juliette prend conscience que la porte se referme insensiblement sur elle : c’est un boulot extérieur qui lui est refusé, ou une conversation avec sa mère (Marie-Christine Barrault, qui fait là une belle apparition), dont l’expérience montre comment l’horizon d’une telle vie de femme s’étrécit. Isabelle Czajka signe là une mise en scène fluide et attentive à ces femmes engagées dans le quotidien plus ou moins contre leur gré, sans doute pas suffisamment rebelles, mais toujours émouvantes dans leur manière de se défendre – ou pas. La réalisatrice suggère aussi comment ces « vies matérielles », pour reprendre le titre de Marguerite Duras, peuvent devenir étanches à ce qui pourrait, à l’extérieur, les déranger. Comme la nouvelle du décès d’une grand-mère éloignée, reçue avec indifférence ; ou un drame près de chez elles, mettant en jeu une jeune fille pauvre d’un quartier moins favorisé, qu’elles sont dans l’incapacité de percevoir. La Vie domestique est un film implacable.

Cinéma
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