Les voyages forment l’enfance

Rentrer de vacances, partir en exil ou dans les étoiles. Trois albums aériens par des auteurs d’ici et d’ailleurs.

Ingrid Merckx  • 3 octobre 2013 abonné·es

La Tête en vacances … Le titre parle de lui-même. Mais il serait moins évocateur si le petit garçon du dessin n’était pas en train de flotter de bien-être dans un océan de plantes marines chatoyantes et ondulantes… avec son cartable. Tel l’élément intrus dans un jeu d’images. Ici, texte et image croisent des itinéraires poétiques. Une petite famille rentre de vacances à la tombée de la nuit. Pas de vrombissements d’autoroute ni de pollution : la voiture traverse un champ non moissonné, seule, au clair de lune. Au lieu de se lever avec le blues des retours d’été, les parents et les deux enfants prolongent l’esprit gai et salé des jours qu’ils viennent de passer.

Mieux que ça : c’est comme si la marée remontait avec eux… « J’ai suivi la poussière de sable jusqu’à la salle de bains et je me suis lavé, mais pas trop, pour sentir encore la mer. Ma sœur poussait des cris de mouette, ma mère étalait sur ses bras une crème à la noix de coco, et mon père faisait la corne de brume… » Dans le ciel « dégagé » de la rentrée, on voit le père et le fils prendre le chemin de l’école avec un parasol, le sourire aux lèvres, indifférents à l’agitation grise alentour. Ils font un détour par le parc et trouvent, au bord du lac, la maîtresse en maillot de bain. Le crayonné d’Anne Laval mime les courants marins et la caresse du vent. L’intensité des couleurs grise doucement. Comme dans un rêve…

Le petit canard de Veronica Salinas et Camilla Engman est, lui, sur le départ. Pas pour des vacances, mais pour un voyage plus long qui pourrait ressembler à un exil. Le texte, adapté du norvégien par Alain Serres, reste délicatement allégorique. Surtout, les tribulations de ce caneton marron glacé, avec son petit sac à dos et son bonnet rosé, pourraient tout aussi bien évoquer une expédition initiatique. D’une certaine manière, l’illustration vient poncer le tranchant du récit. Quand l’auteur écrit : « Un jour, parfois, il faut partir. Et si, ce jour-là, le vent souffle trop fort, tu peux en oublier qui tu es, oublier d’où tu viens… », alors le dessin montre le canard se cramponnant à un tronc pour résister à une rafale qui emporte son bonnet. « D’abord tu essaies de te rassurer dans ce monde si différent. » Quand il tente de dialoguer avec un poisson dont il ne comprend pas la langue, on le voit couché sur le ventre, à la hauteur de son interlocuteur. Il n’y a que lorsqu’il ne comprend rien que ses larmes coulent à verse, jusqu’à ce qu’un autre canard, un peu différent, s’approche et l’aide à broder cette jolie fable sur l’identité. La vache Lola ne perd pas juste sa tête : c’est tout son corps de figures géométriques assemblées qui se défait progressivement sur la page de droite cependant que le récit, à gauche, file la métaphore des dents de lait qui tombent. « Lola Lolita Lololo oh lala », chantonne quelqu’un dans la marge pour accompagner la déconstruction de l’animal burlesque qui n’est autre que la cousine de Jojo la mache, une autre vache d’Olivier Douzou qui perdait ses cornes, sa queue puis le reste avant de s’envoler pour la Voie lactée. Ses carrés et jeux de mots détonnaient assez dans le graphisme des années 1990 pour en faire une star qui fête aujourd’hui ses 20 ans. Le champ de Lola n’est pas carré mais rectangulaire, et elle a l’âge de perdre ses premières dents plutôt que les dernières. Le thème de la disparition croise alors celui du grandir, du renouvellement de génération et de la reconstruction. Comme quoi, sur la Voie lactée, ça s’en va et ça revient.

Littérature
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