Mario Soares : « Le néolibéralisme est une tragédie »

L’ancien Président portugais Mario Soares n’est pas tendre pour les tenants d’un système qui ruine son pays.

Denis Sieffert  • 21 novembre 2013 abonné·es

Malgré tout, Mario Soares garde foi en l’Europe. De passage à Paris la semaine dernière, à l’occasion de la publication d’un livre de chroniques politiques [^2], il ne veut pas croire que les peuples se détournent de ce qui a été l’un des objectifs de sa vie. « Je ne pense pas, dit-il, que la Grèce et l’Espagne soient contre l’Europe. » Il n’y a pas, pour celui qui fut l’un des principaux opposants à la dictature avant la « Révolution des œillets » de 1974, d’amalgame possible entre l’idéal européen et ce néolibéralisme qu’il qualifie de « tragédie ». Il convient cependant que l’élargissement trop rapide, « faute d’approfondissement politique », a favorisé le néolibéralisme. Il plaide pour un « fédéralisme européen » qui ferait franchir un pas politique à l’Europe. Il a évidemment des mots très durs pour son compatriote, Durão Barroso, président de la Commission européenne « qui suit l’Allemagne dans sa politique désastreuse d’austérité ». Pour Mario Soares, « il est largement prouvé que l’austérité ne profite qu’aux marchés spéculatifs ». Mais la critique la plus constructive qu’il formule concerne le statut de la Banque centrale européenne (BCE). Pour lui, la BCE doit pouvoir fabriquer de l’euro et l’injecter dans l’économie réelle « comme la Reserve Federal Bank le fait avec le dollar aux États-Unis » .

Ce n’est pas tant l’originalité de ce propos qui nous interpelle que la personnalité de son auteur. À 89 ans, celui qui fut à deux reprises président du Portugal, et le principal artisan de l’entrée de son pays dans l’Union européenne, tire le bilan de la construction européenne à la lumière de la situation désastreuse de son pays. Il le fait non sans certaines ambiguïtés : il conteste les bases mêmes du traité de Maastricht, mais on ne lui arrachera pas un mot désagréable à l’égard de son « ami François Mitterrand » qui fit adopter le traité par la France. Et il se garde de toute critique à l’encontre de François Hollande qui l’applique aujourd’hui en imposant une politique d’austérité qui peut nous mener à une situation « à la portugaise ». Car l’évolution de Mario Soares est évidemment dictée par la crise dans son pays. Le projet de budget 2014 prévoit l’allongement de la durée du travail hebdomadaire des fonctionnaires de 35 à 40 heures, des coupes de 10 % dans leurs pensions de retraite et des réductions de 2,5 % à 12 % des salaires mensuels supérieurs à 600 euros brut… Des mesures qui ont entraîné une série de grèves dans les hôpitaux, les transports, la magistrature. Mario Soares pense que cette situation préfigure une crise générale. En vieil Européen, pour qui l’Europe s’est longtemps identifiée à la démocratie et à la paix, il redoute que se réalise la prophétie d’un autre « repenti » de la social-démocratie européenne, l’Allemand Helmut Schmidt, pour qui « l’Europe court à l’abîme ».

[^2]: Portugal, état d’urgence , Mario Soares, éd. La Différence, 140 p., 15 euros.

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