Marie-Noëlle Orain : « La loi d’avenir sur l’agriculture n’est pas à la hauteur »

Pour Marie-Noëlle Orain, le projet de Stéphane Le Foll corrige quelques dérives mais ne permettra pas le tournant agroécologique annoncé.

Patrick Piro  • 16 janvier 2014 abonné·es

Grand œuvre du ministre Stéphane Le Foll, la loi d’avenir sur l’agriculture a été examinée mardi dernier en première lecture à l’Assemblée nationale. Elle ambitionne d’instaurer l’agroécologie comme référence du système français, équilibre entre compétitivité des exploitations et respect de l’environnement. Deuxième lecture après les élections municipales.

Le ministre de l’Agriculture présente sa loi comme un « tournant majeur », une refondation. Objectif atteint ?

Marie-Noëlle Orain : Le préambule est pour partie encourageant. On reconnaît pour la première fois qu’il faut réorienter une agriculture productiviste aux impacts négatifs, pour se préoccuper du renouvellement des générations paysannes et préserver l’environnement. Cependant, on y lit aussi qu’il faut aller vers plus de production et de conquête des marchés à l’exportation. Bref, tout et son contraire ! In fine, le sentiment d’un non-choix domine. Ce texte n’est pas à la hauteur des ambitions affichées. Ce n’est pas un « tournant », juste une loi de plus, corrigeant à la marge des années de dérives.

Par où pèche principalement ce texte ?

Auteur de plusieurs amendements retenus par le texte de loi, le groupe EELV a voté en sa faveur. La députée écologiste Brigitte Allain, qui a suivi le dossier, se montre particulièrement satisfaite. « Il s’agit d’une réelle loi d’orientation, qui est même ressortie renforcée par les débats. »

EELV a ainsi obtenu des clarifications sur la définition de l’agroécologie dont se prévaut Stéphane Le Foll : l’agriculture a pour vocation de produire une alimentation « sûre et saine », tout en respectant un droit identique pour les autres peuples – « une reconnaissance de la souveraineté alimentaire ! », se réjouit la députée. Autre amendement considéré comme significatif : l’instauration de contrats d’alimentation territoriaux, qui permettront aux collectivités, notamment, d’appuyer les circuits courts et l’agriculture locale.

Il compense insuffisamment la loi Bussereau sur le foncier, qui a notamment permis des projets comme la ferme des 1 000 vaches. La loi Le Foll, bien qu’elle établisse un contrôle régional des structures et de l’affectation des terres agricoles, ne revient qu’en partie sur les mécanismes qui facilitent l’accroissement de la taille des exploitations et la concurrence exacerbée entre agriculteurs. D’autre part, cette loi ne va pas loin en matière de protection sanitaire : si l’usage des antibiotiques vétérinaires et des phytosanitaires est considéré comme un problème de santé publique, on se contentera de le mesurer et de préconiser de meilleures pratiques. Et la publicité pour les phytosanitaires reste autorisée dans la presse professionnelle. Par ailleurs, le maintien des emplois agricoles n’est qu’optionnel. Ce texte demeure ambigu face à nos interrogations fondamentales : quel type d’agriculture voulons-nous, et avec combien de paysans ? Enfin, François Hollande avait promis une modification des règles de représentativité des syndicats agricoles : rien ne change ou presque, le syndicat majoritaire, la FNSEA, reste outrancièrement favorisé.

Avez-vous cependant quelques motifs de satisfaction ?

Oui. Par exemple, la création d’un « registre de l’agriculture », où les professionnels devront s’inscrire – une reconnaissance de notre statut. La création de groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) est un outil intéressant qui valorise les projets collectifs tournés vers l’environnement et organise des dynamiques de territoires. L’échange des semences paysannes, aujourd’hui bridé, sera possible au sein des GIEE, et l’agriculture biologique sera favorisée. Nous apprécions aussi la fin du critère de la « surface minimum d’installation », qui liait l’octroi d’aides à la taille de l’exploitation. Sera désormais pris en compte un volume horaire d’activité, permettant de faire valoir une activité de transformation alimentaire ou l’accueil touristique à la ferme.

La virulence de certains propos, sur les bancs de l’opposition, laisse supposer que votre camp sort nettement gagnant…

Les débats ont opposé deux visions. Nous défendons une agriculture source d’emplois, tournée vers la relocalisation et respectueuse de l’environnement. Nos opposants – l’UMP et la FNSEA – promeuvent la compétitivité économique de la « ferme France » : il faut produire plus et conquérir des marchés à l’exportation. Un système qui a montré qu’il allait dans le mur. Je trouve incroyable que certains entendent le poursuivre au mépris de ses dégâts ! Cette franche mise à plat aura peut-être contribué à démentir l’assertion courante « il y a de la place pour deux agricultures ». C’est faux : l’une d’entre elles est prédatrice de l’autre, destructrice d’emplois, consommatrice de la majorité des aides publiques, éradicatrice de tout projet modeste. Pourtant, nous ne sommes pas dupes des outrances de l’opposition, qui crie avant d’avoir mal. Car ce projet de loi est loin d’être aussi révolutionnaire qu’annoncé, et il peut encore être affaibli. Nous avons été échaudés par Le Foll au moment de la réforme de la politique agricole commune : malgré les discours, la situation a très peu évolué dans les faits. Nous continuerons donc à nous battre pour porter nos revendications.

Écologie
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