Critiquer l’Europe, c’est facho !

Il est impossible de remettre en cause la politique européenne et la monnaie unique, car le FN s’en est fait la spécialité.

Michel Soudais  • 13 février 2014 abonné·es

Critiquer la politique de l’Union européenne, c’est s’exposer à être qualifié d’anti-européen. Pire encore, à être assimilé à l’extrême droite. L’intimidation apparue lors du débat sur Maastricht pour disqualifier les opposants au traité a connu un beau loupé en 2005, quand les électeurs insensibles à cet oukase ont rejeté le traité constitutionnel européen. Elle n’en continue pas moins d’étouffer toute contestation radicale des choix économiques européens sous les sarcasmes. En novembre 2013, 47 % des personnes interrogées par l’Ifop jugeaient que l’euro était « un handicap », contre 20 % seulement qui le voyaient comme « un atout ». Dans un sondage Ipsos de janvier, 33 % (+5 points par rapport à 2013) des sondés se disent favorables à ce que la France « sorte de la zone euro et repasse au franc ». Pourtant, en débattre sereinement reste impensable. Comme lorsque Michel Denisot conclut un entretien avec Nicolas Dupont-Aignan, partisan de la fin de l’euro, en promettant dans ce cas « le retour de la télé en noir et blanc [^2] ». « L’euro est devenu une religion », a coutume de déplorer Jean-Pierre Chevènement. On ne discute pas du dogme d’une religion. Pour avoir blasphémé, Jacques Sapir a été qualifié par Pierre Moscovici d’ « économiste d’extrême droite », le 3 février, sur France 2. Le même jour, l’ancien directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, mettait en garde les lecteurs de Direct Matin  : « Une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que l’Européen, l’Arabe ou le juif – est en train de s’affirmer. C’est la France du repli identitaire et du refus de l’euro. » Silence dans les rangs ! Pourtant, comme le défend à raison Aurélien Bernier [^3], la rupture avec le libéralisme imposé par l’Union européenne n’est « pas une idée d’extrême droite, au contraire ». Le retour à une souveraineté monétaire gagne du terrain dans des cercles intellectuels qui ne sont pas ceux de cette famille politique, mais le débat, relancé par la conversion récente d’économistes comme Cédric Durand ou Frédéric Lordon ( Politis n° 1269), y reste cantonné.

L’an dernier, en Allemagne, Oskar Lafontaine, le fondateur de Die Linke, a jugé « nécessaire d’abandonner la monnaie unique », à défaut que celle-ci repose sur « une politique salariale coordonnée orientée vers la productivité ». Une audace qui n’a pas encore gagné le Front de gauche et dont le refus a « bridé Jean-Luc Mélenchon pendant toute la campagne présidentielle », regrettait récemment dans Marianne l’économiste Jacques Généreux, qui rejette la responsabilité de ce refus sur « les dirigeants communistes ». Interpellé sur ces propos dans l’émission « On n’est pas couché », le 1er février, le coprésident du PG n’a pas exclu que la désobéissance à l’UE puisse aller jusqu’à la rupture. Il l’a toutefois juste laissé entendre.

[^2]: Canal +, « Le Grand Journal », 18 janvier 2012.

[^3]: La Gauche radicale et ses tabous, Aurélien Bernier, Seuil.

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