« l’Expérience Blocher » : l’horreur tranquille

Dans l’Expérience Blocher, Jean-Stéphane Bron dessine en creux le portrait du démagogue suisse.

Christophe Kantcheff  • 20 février 2014 abonné·es

Réaliser le portrait d’un « ennemi » au cinéma n’est pas une mince affaire. Après Cleveland contre Wall Street, qui mettait en scène un procès autour de l’affaire des subprimes, Jean-Stéphane Bron a voulu, dit-il, faire un film sur les « conséquences de cette crise, avec en tête une question : à qui va profiter ce crime dont les coupables resteront impunis ? ». En Suisse (le cinéaste est citoyen de ce pays) comme ailleurs : aux populistes, et plus particulièrement à l’extrême droite. D’où ce nouveau film que Jean-Stéphane Bron consacre à Christoph Blocher, l’homme qui a permis aux idées xénophobes de faire une percée en Suisse à la fin des années 1990. Blocher a même siégé au Conseil fédéral, le gouvernement du pays, de 2004 à 2007. Aujourd’hui, il n’est plus à la tête de son parti extrémiste, bizarrement nommé Union démocratique du centre, mais il en est encore l’inspirateur. Le vote anti-immigration du 10 février est son œuvre.

Comment filmer Blocher ? Comment éviter l’effet empathique du cinéma ? Jean-Stéphane Bron a refusé l’obstacle, comme on dit en équitation. Il a choisi le portrait par défaut, la captation de biais, c’est-à-dire qu’il montre Blocher dans ses temps morts : chez lui, dans sa piscine et, beaucoup, dans sa voiture, mais jamais en situation de tribun, où, en bon démagogue, il excelle. C’est cette méfiance dans l’exercice malin de la parole qui a retenu le cinéaste, peut-être pas suffisamment sûr de lui, contrairement à un Barbet Schroeder, par exemple, révélant les failles d’Amin Dada ou de Jacques Vergès en les laissant parler jusqu’à plus soif devant la caméra.

Jean-Stéphane Bron a travaillé son portrait en creux, jouant sur les atmosphères. Il parvient ainsi, en faisant appel à des réminiscences du cinéma de genre, à rendre inquiétant un personnage qui a pourtant toutes les apparences de la bonhomie. Le cinéaste a aussi puisé dans les images d’archives, télévisuelles notamment, pour retracer son parcours. Cet éclairage sur le passé est particulièrement éloquent : Blocher est un entrepreneur qui a hérité par opportunisme, spéculé avec les sociétés qu’il a reprises, méprisé ses salariés et le droit du travail. L’Expérience Blocher montre bien la collusion entre le libéralisme débridé, qui a permis à l’homme politique d’établir sa fortune, et ses idées réactionnaires, où l’Europe sert d’épouvantail pour faire passer toutes les haines contre l’Autre, contre la différence, contre les libertés.

Cinéma
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