Sortir de l’euro ?

C’est la finance, et non la monnaie unique, qui est coupable.

Jean Gadrey  • 8 mai 2014 abonné·es

La question est posée, bien que les avocats de la sortie de l’euro soient très minoritaires au sein de la gauche antilibérale et de ses organisations. Pour les adversaires d’une sortie volontaire, des réformes de fond des traités restent possibles. Mais au prix de fortes mobilisations et d’une forme de « désobéissance » portant sur le statut de la BCE – afin qu’elle joue un rôle de vraie banque centrale –, sur la règle budgétaire, sur le soutien à l’emploi dans le cadre de la transition écologique et sociale, sur la séparation des banques d’affaires et de dépôt et d’une taxation de « toutes » les transactions financières…

Les partisans de la sortie volontaire estiment que c’est illusoire, car il faudrait en priorité redonner des marges de manœuvre aux États nationaux. Pour eux, avec une monnaie unique, les pays dont la compétitivité reste durablement faible voient leurs comptes extérieurs se dégrader inexorablement, privés qu’ils sont de l’arme de la dévaluation. Il ne leur reste, éventuellement, que la dévaluation « interne » : le freinage ou la régression des salaires, l’austérité. Ce qui entraîne les pays en retard dans une spirale récessive. La monnaie unique creuse les écarts. Pour éviter cela, il faudrait, selon eux, un budget européen trois ou quatre fois plus important, ce qui est hors de portée politique. Donc il faut sortir de l’euro au plus vite, et se contenter d’une « monnaie commune » pour les transactions hors zone.

Ce raisonnement, bien trop économiste, est incapable d’expliquer que les principaux pays de la zone euro ont vu leur taux de chômage converger nettement pendant dix ans, de 1999 à 2009. Mais aussi, en tendance globale, leur PIB par habitant, leurs gains de productivité du travail, leur ratio de dette publique. Une « loi » économique de « divergence inéluctable » peut-elle être infirmée par les faits jusqu’en 2009 et vérifiée seulement depuis ? Il y a quelque chose qui cloche. J’ai déjà fourni mon interprétation de cette incohérence ^2 : c’est la finance (et non la monnaie unique), relayée par la Troïka, qui est coupable de la divergence économique des pays européens à partir de 2009.

Il n’y aurait probablement pas eu de divergence dans la zone euro depuis 2009 si plusieurs des mesures suivantes avaient été prises, aucune n’exigeant un budget européen beaucoup plus important. 1) Si le « sauvetage des banques » s’était accompagné de contreparties exigées en faveur de l’économie réelle, d’une vraie séparation bancaire, et si besoin de prise de contrôle des banques les plus dangereuses. 2) Si la BCE avait coupé l’herbe sous le pied aux « marchés » en prêtant (directement ou indirectement) à 1 % aux États les plus endettés. 3) Si une partie des dettes publiques excessives, en particulier en Grèce, avait été jugée illégitime (ce qui était bien le cas) et annulée. 4) Si la stratégie européenne d’austérité publique (dont même le FMI a fini par admettre qu’elle était dommageable) avait été rejetée. L’euro n’est pas coupable. Il faut s’en prendre à la finance et à ses relais politiques, en Europe et dans chaque pays. La solution n’est pas dans le « chacun pour soi et les dévaluations pour tous ».

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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