Les États-Unis et le TTIP

Les États-Unis pratiquent un « néolibéralisme administré ».

Gérard Duménil  • 26 juin 2014 abonné·es

Depuis la crise de 2008, l’économie des États-Unis est entrée dans une phase où l’intervention des instances centrales – le gouvernement et la banque centrale – joue un rôle accru. On observe notamment un retour des politiques industrielles, un protectionnisme caché et des politiques monétaires (du crédit) renouvelées et renforcées [^2]. Les intérêts de classe propres au capitalisme néolibéral ne sont pas en question, sauf en ce qui concerne la lutte contre l’évasion fiscale. Nous parlons de « néolibéralisme administré », expression contradictoire qui rappelle qu’il faut bien distinguer les objectifs de classe du néolibéralisme de ses méthodes (de moins en moins libérales). Concernant les États-Unis, ce divorce atteint un tel degré que le terme « néolibéralisme » apparaît de moins en moins approprié. Je vais soutenir brièvement la thèse que l’identification de ce nouveau cours de l’économie permet d’interpréter le double jeu états-unien dans les négociations concernant l’accord de libre-échange transatlantique (en anglais, TTIP). D’une part, vouloir ce traité ; d’autre part, vouloir en exclure les activités financières.

Pourquoi les États-Unis souhaitent-ils cette grande zone de libre-échange ? Malgré la croissance de la dette publique, un certain optimisme règne dans le pays. Depuis 2009, un taux de croissance faible, mais stable, est maintenu. Barack Obama souligne dans ses déclarations que le coût du travail est tombé si bas dans certaines régions que plus rien ne justifie l’exportation du capital vers des pays à bas coût de main-d’œuvre (compte tenu des frais de transport). Surtout, la politique énergétique favorisant l’expansion de l’exploitation des gaz de schiste, conduit les spécialistes à pronostiquer la poursuite de la baisse du coût de l’énergie. Des études anticipent un avantage compétitif déterminant des États-Unis sur l’Europe au cours des décennies à venir, et ce sur deux plans : les coûts de la main-d’œuvre et ceux de l’énergie [^3]. Placés dans une position dominante, les États-Unis ont tout à gagner d’une ouverture commerciale encore accrue. De l’autre côté de l’Atlantique, d’autres experts « mesurent » dans leurs modèles les avantages mirifiques qu’en tirerait l’économie européenne. On se souvient de l’accord de libre-échange nord-américain ! Des gains importants devaient découler pour le Mexique du grand accord qui le lie depuis 1994 aux États-Unis et au Canada. Les effets en ont été catastrophiques.

Pourquoi les États-Unis veulent-ils exclure les services financiers de l’accord ? La réponse est que, dans ce « néolibéralisme administré », le secteur financier constitue un volet crucial. Les grandes institutions financières états-uniennes sont le centre d’un empire qui gouverne une bonne partie du monde. Mais, comme l’a montré la crise de 2008, les mécanismes financiers sont aussi les vecteurs de risques colossaux d’instabilité financière. Les États-Unis veulent conserver les mains libres dans la gestion de ce grand équilibre entre avantages et risques. Partager avec l’Europe la préservation (active) de cet équilibre serait comme partager la conduite de l’espionnage du monde et des opérations militaires.  

[^2]: Voir la Grande Bifurcation , coécrit avec Dominique Lévy, (La Découverte).

[^3]: Voir les travaux du Boston Consulting Group, www.bcgperspectives.com

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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