Le pluralisme contre-attaque !

De Zélium au Ravi : la presse « pas pareille » entend se structurer dans une coordination des médias libres et un réseau associatif pour mieux se développer.

Jean-Claude Renard  • 10 juillet 2014 abonné·es

Irrégulomadaire satirique, Zélium se pique d’un numéro estival franco-belge, concocté par sa rédaction et celle du Batia Moûrt Soû ( le Bateau ivre ), titre belge, « jovial, crédule, saugrenu mais outrecuidant ». On y trouve une lecture du Mondial à coups d’expulsions et de manifestations, des articles sur le traitement de la Grande Guerre, des portraits colorés et nombre de dessins. De son côté, dans sa dernière édition de juillet, le mensuel le Ravi, partagé entre enquêtes, reportages et satires, fait sa une sur l’identité de sa région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où « traditions riment souvent avec réactions, mais pas toujours ». Un dossier rebondissant sur la réforme territoriale, dans une des rares régions qui soit épargnée. Une occasion de revenir sur les origines et les crispations provençales et occitanes. S’y ajoutent encore un reportage à Orange, sur les terres des Bompard, et un compte rendu du conseil municipal FN de Fréjus, dans le Var (dans la lignée d’une rubrique de « surveillance démocratique » déjà bien rodée).

De Zélium au Ravi, un point commun : les deux journaux participent du mouvement de « la presse pas pareille » (PPP), lancé à l’automne 2013, à Marseille, regroupant des titres indépendants et revendiquant une « reconnaissance institutionnelle ». Dans la continuité, en mai dernier, l’association Rencontres médiatiques organisait en Corrèze un week-end de réflexions autour des « médias libres et du journalisme de résistance ». Partant d’un constat : « Les médias dominants ne remplissent plus leur fonction démocratique. Pour que vive le débat, nous sommes indispensables car nous remplissons de fait des missions d’utilité publique. […] En conséquence, nous ne pouvons nous satisfaire d’être maintenus dans la précarité et la survie permanentes, et réclamons des moyens financiers pour exister, notamment via la refondation du système des aides à la presse et aux médias. » Pour asseoir ses revendications, une coordination permanente des « médias pas pareils » a été mise en place, devenant la Coordination permanente des médias libres. Elle regroupe une quarantaine de signataires. Le Ravi et Zélium donc, mais encore l’Acrimed, la Lettre à Lulu, les Pieds dans le PAF, Cassandre/Horschamp, Friture Mag, lalorgnette.info, Reporterre… Pas uniquement des titres, mais aussi des personnalités ou des associations comme celle du quartier de la Villeneuve, à Grenoble. Pour Michel Gairaud, à la tête du Ravi, « il s’agit d’avancer avec tout le monde. Au niveau régional, on essaye, d’une part, de créer une plateforme de journaux indépendants et, d’autre part, de monter une association dite “Médias-citoyens” en lien avec la région Rhône-Alpes. L’enjeu est de créer un réseau de ces médias pas pareils, plus ou moins en résistance » .

L’adhésion à la Coordination permanente des médias libres s’inscrit dans le même état d’esprit : il convient de se repérer, de s’identifier, de se définir, d’apprendre à se connaître, de s’appuyer les uns sur les autres, de se donner une certaine visibilité. « Nous sommes dans la synergie, poursuit Michel Gairaud, plutôt que dans la concurrence. En pensant à différentes échelles, locale, régionale, nationale. Cela peut aller jusqu’à des expériences de mutualisation autour de la diffusion, de la communication, de coproductions d’événements, de rendez-vous multimédias. L’un des intérêts est d’avoir la capacité à interpeller les pouvoirs publics, l’État, au-delà des aides à la presse, d’obtenir une reconnaissance institutionnelle qui permettrait de les accompagner ou d’être éligibles à des appels à projets. On fait partie d’une famille de médias qui acceptent et qui pensent nécessaire l’obtention d’argent public pour fonctionner. C’est paradoxal : la presse indépendante a aussi besoin d’une reconnaissance institutionnelle, ce qui ne veut pas dire lien de subordination, ni clientélisme. » Si le pluralisme était l’une des priorités au sortir du Conseil national de la Résistance, il est aujourd’hui largement remis en question. Son devenir passe précisément par ce type de démarche. La création ce mois-ci de l’association Médias-citoyens en est une belle.

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