Les visages de Moïse

Un essai singulier de Jean-Christophe Attias sur un personnage biblique d’une complexité étonnante.

Denis Sieffert  • 26 mars 2015 abonné·es

La sentence de Voltaire, dans son dictionnaire philosophique, paraissait pourtant définitive : aucune source extérieure à la Bible ne confirme les prodiges qui sont attribués à Moïse par le Pentateuque ; il n’a donc jamais existé. Pas si simple, semble nous dire Jean-Christophe Attias, car « les coups de boutoir de la science ne peuvent rien contre les héros ». Dans un essai à la fois érudit et plaisant, ce spécialiste de la pensée juive nous propose une lecture personnelle, tout en questionnements, des récits mosaïques. À partir de la Bible, mais aussi des sources rabbiniques, Attias revisite les multiples portraits d’un prophète également revendiqué par le christianisme et l’islam. Assez pour offrir un vaste choix de Moïse possibles.

Car le surhomme qui libère son peuple de l’esclavage, et le conduit hors d’Égypte jusqu’au seuil du pays de Canaan, est à la fois le noble athlète de Michel-Ange, le colérique puissant et contenu de Freud et un personnage qui redescend de la montagne hideux et « cornu » après son entretien avec Dieu. Transfiguré ou défiguré ? Il est en même temps ce chef de guerre, on dirait aujourd’hui « charismatique », et ce bègue « à la langue pesante » qui se cherche des défauts pour fuir la mission que Dieu lui assigne. Entre toutes ces figures, Attias a un net faible pour le « Moïse fragile ». L’antihéros de l’épisode du Veau d’or, faussement mort et donc faussement ressuscité… comme Jésus. Attias se plaît à souligner le doute pour mieux sacraliser un « judaïsme de l’esprit ».

En multipliant et en confrontant les exégèses , si souvent contradictoires, il fait du questionnement le sujet même du livre. Parce que l’imaginaire l’emporte sur le vraisemblable et la liberté des interprétations sur une lecture unique, on mesure l’absurdité de tous les littéralismes et autres orthodoxies. À demi-mot, Attias nous dit qu’il n’y a pas que Moïse qui soit « fragile »  ; les textes aussi le sont, à force de mystères et d’ambiguïtés. Libre aussi au lecteur d’apercevoir la leçon politique. Moïse n’a pas de lignée, « ses fils ont disparu sans laisser de trace ». Et s’en réclamer au nom d’une improbable généalogie est déraisonnable. Il ne peut donc exister de « judaïsme du sang » qui aurait traversé les siècles et les continents pour fonder un droit de propriété sur une terre idolâtrée. L’actualité n’est pas loin.

Culture
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