Cour des comptes : « Un tout petit monde »

Auteur d’une enquête sur la Cour des comptes, Bruno Botella décrypte ici la composition et l’évolution de cette institution.

Olivier Doubre  • 21 octobre 2015 abonné·es
Cour des comptes : « Un tout petit monde »
Et si on enquêtait sur la Cour des comptes ? , éditions du Moment, 217 p., 16,95 euros.
© FEDOUACH/AFP

«Les magistrats financiers de la Cour des comptes sont pour la plupart des hauts fonctionnaires sortis bien classés de l’ENA. Ils intègrent l’institution entre 25 et 30 ans comme auditeur, avant de devenir, au bout de quelques années, conseiller référendaire, puis conseiller maître et, pour les plus chanceux, président de chambre. Ensuite, il y a les gens nommés au “tour extérieur” [voir ci-contre, NDLR], qui proviennent, disons, du “canal politique”. Enfin, il y a toute une population qui contribue directement à l’élaboration des rapports. Ceux-là sont recrutés pour leurs compétences sur des sujets ponctuels et souvent techniques. Ils proviennent de diverses administrations : ce sont des diplomates, des anciens de Bercy, des administrateurs civils d’autres ministères… Mais aussi des hauts fonctionnaires qui, au lendemain d’une alternance politique, ont perdu leur poste à responsabilité. Ils sont “rapporteurs extérieurs”, en général dans une chambre dont le domaine n’est pas celui dans lequel ils officiaient auparavant. Dans tous les cas, ces magistrats bénéficient du statut protecteur de fonctionnaire et sont inamovibles.

Pierre Joxe, qui fut premier président il y a une vingtaine d’années, était partisan de faire travailler des gens dans des domaines qu’ils maîtrisent bien. Mais, pour éviter le risque de conflits d’intérêts, la doctrine aujourd’hui est d’éviter ce genre de situation. Il ne s’agit pas d’une norme gravée dans le marbre ou dans la loi, mais elle a cours depuis une dizaine d’années, car on est aujourd’hui plus vigilant sur la question. Didier Migaud est plutôt à cheval là-dessus. Quatre ou cinq ans après leur arrivée, les auditeurs ou jeunes conseillers référendaires peuvent partir travailler dans des administrations ou un cabinet ministériel. La doctrine actuelle encourage cela pour qu’à leur retour ils aient connaissance des rouages de l’État. C’est pourquoi on retrouve nombre de magistrats de la Cour dans les cabinets ou à la tête d’une direction générale d’un ministère. Certains reviennent, d’autre pas. C’est là, selon moi, qu’il y a un risque de conflit d’intérêts. Quand ils reviennent, ils ne rejoignent en général pas la chambre chargée de contrôler l’administration qu’ils viennent de quitter… mais ils connaissent bien le magistrat du bureau d’à côté qui s’en occupe ! C’est un tout petit monde, un petit milieu.

La Cour des comptes a acquis une influence notable ces dernières années. La première raison tient à la personnalité des premiers présidents, de Pierre Joxe à Philippe Séguin, aujourd’hui Didier Migaud : ce sont des politiques et des poids lourds de leurs partis respectifs, qui ont donné une visibilité médiatique à la Cour. Mais surtout, avec la pression de l’Europe (sur les 3 % de déficit, notamment), la question des comptes publics a acquis une forte importance dans le débat politique, qui rend les avis de la Cour beaucoup moins négligeables que par le passé. »

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