Lycées : un enjeu sous-estimé ?

Alors que Valérie Pécresse souhaite déployer un « plan anti-drogue » visant les jeunes, Henriette Zoughebi, vice-présidente d’Île-de-France, détaille les nouvelles missions éducatives de la Région.

Ingrid Merckx  • 11 novembre 2015 abonné·es
Lycées : un enjeu sous-estimé ?
© Photo : FLORIN/AFP

Des tests salivaires à l’entrée et des chiens pour renifler les sacs à dos. Le 5 novembre, Valérie Pécresse, candidate Les Républicains pour les régionales en Île-de-France, a présenté un plan « lycées sans drogue ». « La consommation de drogue a pour conséquence la démotivation, le décrochage et l’échec scolaire », a-t-elle expliqué pour justifier la « bulle de sécurité » qu’elle souhaite installer autour des établissements. « Répressif, sécuritaire, stigmatisant », a commenté l’Union nationale lycéenne. « Surenchère populiste » et mesure « irréaliste » pour le syndicat de policiers Unsa. D’autant qu’un jeune refusant de se soumettre au test serait immédiatement considéré comme positif. Le plan anti-drogue a au moins l’intérêt de braquer les projecteurs sur les lycées, enjeu sous-estimé du prochain scrutin. « La Région devra assumer dans la prochaine mandature le plein exercice de nouvelles compétences dans la lutte contre le décrochage », rappelle Henriette Zoughebi sur son blog. Selon la vice-présidente (Front de gauche) d’Île-de-France, en charge des lycées et des politiques éducatives, la lutte contre l’échec scolaire méritait mieux qu’une « pirouette électoraliste ». Sur le problème de l’addiction, elle rappelle que la médecine scolaire est en pleine déshérence. Et ajoute : « Cette proposition de Valérie Pécresse exprime une bien triste vision de la jeunesse. Considérés a priori comme dangereux, délinquants, drogués, les jeunes sont traités comme des suspects et des irresponsables. »

Bibliothécaire et fondatrice du Salon du livre de jeunesse de Montreuil, Henriette Zoughebi défend une démarche inverse dans le Parti pris des jeunes [^2], ouvrage qui restitue la consultation qu’elle a menée pendant quatre ans auprès de 30 000 jeunes de 220 établissements d’Île-de-France, « en faisant le choix de la confiance ». « Nous aussi nous voulons avoir notre mot à dire », répètent les élèves dans ce livre, où ils formulent un sentiment récurrent : « On n’a pas l’impression de servir à grand-chose. » Le cannabis n’arrive vraiment pas en tête des préoccupations des lycéens, qui se plaignent massivement d’assignation sociale et territoriale. « Quand on est à La Courneuve, on n’est pas considéré comme les autres », lâche une élève d’origine marocaine. « Quand on sort de Goussainville, on est vite stigmatisé », lance une terminale qui voudrait s’inscrire à la Sorbonne. Si ces jeunes ne savent pas forcément quoi répondre à la question « C’est quoi réussir votre vie ? », un lycéen répond ce que serait la rater : être ouvrier comme son père, d’origine malienne, synonyme pour lui d’aliénation. La vice-présidente de la Région constate que les élèves de milieux favorisés ont une vision plus large de l’avenir –  « faire un travail qui nous plaît »  – quand l’enjeu, pour ceux de milieux plus populaires, reste : « Avoir un travail, un toit, faire vivre une famille. » « On nous a toujours dit que le bac pro, c’était pour les nuls », glisse aussi une élève du lycée privé Notre-Dame-du-Grandchamp, à Versailles. « On fait des stages, on travaille comme des salariés, on apporte nos qualités et on ne nous donne même pas de quoi payer l’essence », rapporte une jeune femme en BTS management. En voie professionnelle, les 21 semaines de stage ne sont pas indemnisées. Plusieurs chefs d’établissement confient qu’ils ne peuvent pas faire cours le samedi car un tiers des lycéens travaille ce jour-là pour gagner sa vie. Autre problème : l’orientation, tant les notes, davantage que les projets, déterminent le choix des filières, entraînant déception, frustration, voire décrochage. Que peut la Région ? Henriette Zoughebi critique certains dispositifs existants, comme celui sur l’aide à la recherche de stage. Mais rappelle que d’autres ont été portés par elle, comme la réforme de la dotation de solidarité, qui a favorisé 177 lycées sur critères sociaux, ou les conseils de vie lycéenne.

Les propositions d’Henriette Zoughebi dépassent l’Île-de-France : revaloriser les bourses, mettre en place une allocation d’autonomie pour les majeurs, développer l’accompagnement des projets artistiques et culturels, réduire le coût des transports pour les jeunes ou indexer les tarifs de cantine sur le quotient familial. L’éducation et la formation professionnelle font partie des compétences des 13 nouvelles Régions [^3]. Soit l’enseignement supérieur, la gestion des lycées, l’apprentissage, la formation continue et l’insertion des jeunes en difficulté. Ce qui laisse une marge de manœuvre. D’autant que des lycées en sont à se mettre en grève parce qu’ils manquent simplement de tables et de chaises.

[^2]: Le Parti pris des jeunes. Réinventer l’éducation populaire, Henriette Zoughebi, l’Atelier, 160 p., 10 euros.

[^3]: Loi NOTRe, 16 juillet 2015.

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