Violences conjugales : « En zone rurale, plus dur de s’en sortir »

Françoise Brié, porte-parole, de la Fédération nationale Solidarité Femmes, explique combien l’isolement, le manque de mobilité et de structures spécialisées augmentent les difficultés des femmes victimes de violences.

Célia Coudret  • 25 mars 2016
Partager :
Violences conjugales : « En zone rurale, plus dur de s’en sortir »
© Crédit photo: GARO / PHANIE

De nombreuses études ont été publiées sur les violences conjugales en France, mais peu encore se sont penchées sur la situation des femmes qui en sont victimes dans les zones rurales. Les violences faites aux femmes en milieu rural, publiée le 24 mars par le réseau d’associations Solidarité Femmes, met en lumière les difficultés particulières que ces dernières rencontrent pour sortir de la violence. Une étude menée par 11 des associations de ce réseau, auprès de 730 femmes en 2011-2012 et 1.134 en 2014, dans les zones rurales des régions Midi-Pyrénées et Pays-de-la-Loire. Françoise Brié, porte-parole de la Fédération nationale de Solidarité Femmes, revient sur ses principales constatations.

Quel est le profil des femmes dont la situation a été suivie pour cette étude ?

Françoise Brié : Plus de 50 % des femmes reçues dans les associations du réseau Solidarités Femmes vivent en couple, et une très grande majorité d’entre elles ont au moins un enfant. Ces dernières sont avant tout victimes de violence conjugales.

En quoi la vie en milieu rural augmente-t-elle les difficultés des femmes à sortir de la violence ?

Nous avons constaté que l’environnement des femmes dans les zones rurales pouvait être des freins supplémentaires dans leur parcours pour sortir des violences conjugales. Ce sont des spécificités liées aux inégalités territoriales. Il y a un vrai manque de services de proximité, notamment dans le secteur de la santé et de la justice. Les associations et les structures spécialisées, qui leur permettraient d’être accompagnées, sont également peu nombreuses. Pour y avoir accès, il faut obligatoirement des moyens de transports. Or, la mobilité est une difficulté de plus pour ces femmes, qui n’ont pas toutes accès à une voiture individuelle.

Numéro d’écoute « Violences femmes info » : 39 19. L’appel est anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h les samedi, dimanche et jours fériés.
Beaucoup dépendent des transports en communs, parfois peu nombreux, qui deviennent contraignants en terme de temps et de distance. Par ailleurs, dans les zones peu densifiées, cela ne favorise pas la discrétion. L’isolement géographique et le manque de mobilité peuvent rendre ces femmes comme prises au piège. Et c’est sans compter la peur du commérage, voire une forme de complaisance dans le cas où l’agresseur est un notable du coin. Dans un milieu avec peu de densité de population, tout le monde se connaît, et cette proximité ne favorise pas la prise de parole des femmes victimes de violences.

La précarité financière est une autre des difficultés majeures pour les femmes victimes de violence. Dans le milieu agricole notamment ou les entreprises familiales, l’activité réelle des femmes peut être sous-déclarée. Ce manque de ressources ne leur permet pas de quitter le domicile conjugal ou d’obtenir la location d’un appartement. Autant d’éléments qui freinent un éventuel départ du domicile.

Quel est l’impact du manque de médecins ruraux pour les femmes victimes de violences conjugales ?

Les médecins sont souvent les premières personnes auxquelles elles se confient. Ce sont eux qui sont à même de repérer les violences qu’elles subissent, et qui les orientent. Le problème, c’est aussi qu’il s’agit souvent du médecin de famille, qui connaît tout le monde. Les chiffres de nos associations montrent qu’il y a de la violence en milieu rural comme en milieu urbain. Sauf qu’en ville, il y a plus de médecins, de services spécialisés et d’hébergements, donc plus de solutions de replis pour les victimes de violences.

Quelles sont les solutions qui peuvent être mises en place pour améliorer leur condition ?

S’il y a aussi peu de structures de proximité et d’associations spécialisées, c’est aussi par manque de financement. Il faut donc renforcer le secteur associatif spécialisé dans ces communes rurales, et créer des structures spécialisées dans les violences conjugales qui rassembleraient plusieurs services, comme l’accès au droit et l’accompagnement. Il faudrait développer la connaissance du numéro d’écoute (3919), puisque nous avons également constaté que ce numéro était peu connu en milieu rural. De par les difficultés de mobilité dans ces communes, il faudrait développer ces centres d’appels, pour au moins assurer à ces femmes un meilleur suivi téléphonique. Mais ce qui est primordial, c’est un soutien financier aux associations déjà présentes ; à la création de permanences et de lieux d’hébergement spécialisés en milieu rural, pour accueillir les femmes qui ont fui le domicile conjugal.

Société
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives
Reportage 6 décembre 2025 abonné·es

À la frontière franco-britannique, la parade de l’extrême droite, entre associations inquiètes et forces de l’ordre passives

Sur la plage de Gravelines, lieu de départ de small boats vers l’Angleterre, des militants d’extrême droite britannique se sont ajoutés vendredi 5 décembre matin aux forces de l’ordre et observateurs associatifs. Une action de propagande dans un contexte d’intimidations de l’extrême droite. Reportage.
Par Pauline Migevant et Maxime Sirvins
« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN
Récit 5 décembre 2025

« J’estime être victime de harcèlement » : Sand, réprimée pour rappeler la loi à un député ex-RN

À chaque événement public où se trouve Daniel Grenon, la militante d’Extinction Rebellion brandit une pancarte rappelant que « le racisme est un délit ». Un acte pour lequel elle a été convoquée plusieurs fois au commissariat et reçu un avertissement pénal probatoire.
Par Pauline Migevant
Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats
Analyse 5 décembre 2025 abonné·es

Comment le RN a monté en épingle l’enfarinement de Bardella pour s’attaquer aux syndicats

Après avoir qualifié son enfarinement de « non-événement », Jordan Bardella et des députés du Rassemblement national ont été jusqu’à interpeller le ministre de l’Éducation nationale pour infamer les « syndicats d’extrême gauche » qui encourageraient « la violence politique ».
Par Pauline Migevant
À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État
Reportage 5 décembre 2025 abonné·es

À Rennes, l’errance des mineurs isolés, abandonnés par l’État

Plus de 3 200 jeunes étrangers attendent en France qu’un juge reconnaisse leur minorité. Pendant des mois, ces adolescents vivent à la rue, sans école ni protection. À Rennes, des bénévoles tentent de combler les failles d’un système qui bafoue les droits fondamentaux de l’enfant.
Par Itzel Marie Diaz