Un nécessaire rapprochement

Pour qu’un rapprochement ait du sens, il faudrait qu’il soit porteur d’avenir, et que tous les protagonistes, communistes et écologistes compris, voient bien au-delà d’une présidentielle de toute façon mal emmanchée.

Denis Sieffert  • 25 janvier 2017
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Un nécessaire rapprochement
© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

L’ironie serait facile. Au moment où une marée humaine déferlait sur Washington, alors qu’une Amérique tonnait contre l’autre, et qu’à Coblence les extrêmes droites fourbissaient leurs armes, nous avions le nez sur cette primaire d’une petite moitié de la gauche bien de chez nous. Sur nos écrans, on apercevait Benoît Hamon, homme modeste, calfeutré dans sa doudoune, qui montait sur une péniche sous les hourras de ses amis. Pas facile de connecter notre petit monde, dont il était le roi d’un soir, avec une planète au bord du chaos, que de nouveaux géants, grossiers et brutaux, prétendent dominer au péril de la paix. Benoît Hamon, pourtant, nous intéresse. Il n’est pas près de changer l’ordre du monde. Et il ne sauvera même pas le Parti socialiste d’une mort probable – ce n’est d’ailleurs surtout pas ce qu’on lui demande ! Il ne sera pas non plus le président français qui figurera, l’été prochain, sur les photos du futur G20. Mais il nous intéresse parce que son succès exprime quelque chose qui est loin d’être anecdotique, et qui ne se mesure pas en nombre de voix : la volonté d’une partie de la gauche de se ressourcer après une trop longue période d’égarement idéologique.

J’entends bien que les tergiversations « solfériniennes » – pour parler le « Mélenchon » – sur la participation à ce scrutin sont affligeantes. Et quand je dis « tergiversations », je suis aimable. Mais on connaît ces gens-là. Ne feignons pas de les découvrir. Et au fond, quelle importance ? Un million cinq cent mille, un million six cent mille, c’est de toute façon très peu, et Hamon n’y est pour rien. Cela n’efface pas son double mérite : celui, souhaitons-le, de bouter hors de notre paysage le dernier rescapé d’un duo exécutif calamiteux ; et celui de réenchanter un peu la gauche en pensant l’avenir écologique et social. Un mérite qu’il partage, dans un tout autre style, moins flamboyant, avec Jean-Luc Mélenchon.

À nos lecteurs

Deux petits messages. Vous pouvez voir ou revoir sur Politis.fr notre belle soirée du 19 janvier, avec l’historienne Mathilde Larrère, sur la démocratie.

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Infliger une ultime défaite à Manuel Valls ne serait déjà pas une mince affaire. Car c’est sa politique, menée avec François Hollande, qui a conduit la gauche dans l’abîme où elle se trouve. C’est aussi leur politique qui a fabriqué la créature libérale Emmanuel Macron. Mais, pour l’heure, nous en sommes encore réduits aux conjectures. Si Benoît Hamon l’emporte dimanche prochain, que se passera-t-il ? On peut imaginer sans peine que le PS va cette fois imploser. On peut s’en réjouir béatement. Mais le petit plaisir sera de courte durée si ce coup de grâce n’est suivi d’aucun projet de rassemblement de la gauche. La droite du parti rejoindra plus ou moins ouvertement, ou honteusement, Emmanuel Macron. Avec le camarade Alain Minc, les ralliés formeront le parti de la loi travail. S’il reste seul, Benoît Hamon, lui, pourra toujours reconstruire le PSU : peu de troupes, pas d’appareil, pas de députés, mais de l’imagination… Au milieu du champ de ruines légué par François Hollande, l’imagination, ce n’est déjà pas si mal.

Dans un journal comme Politis, qui s’est fondé à l’intersection de l’écologie et du social, le discours « culturel » de Benoît Hamon ne peut laisser indifférent. Quant à son impact politique, il dépendra des initiatives qui seront les siennes. Pour parler clair, nous ne voyons pas de raisons objectives pour qu’un rapprochement ne s’opère pas, tôt ou tard, avec Mélenchon. Le leader de la France insoumise ne se ralliera évidemment pas. Ses amis ont fait donner l’artillerie lourde, dimanche soir, contre Benoît Hamon. Ce qui était peut-être tactiquement de bonne guerre. Mais il vaudra mieux rapidement songer à créer les conditions d’un dialogue sincère. On entend bien le slogan décliné depuis quelques jours, notamment par Arnaud Montebourg : « Les suffrages valent mieux que les sondages. » Il est vrai que Mélenchon n’a pour l’instant que des sondages. Mais ils sont bons. Il a surtout un mouvement dynamique. Et les suffrages de Benoît Hamon sont maigrelets. Pas suffisants en tout cas pour fonder une légitimité. Pour qu’un rapprochement ait du sens, il faudrait qu’il soit porteur d’avenir, et que tous les protagonistes, communistes et écologistes compris, voient bien au-delà d’une présidentielle de toute façon mal emmanchée.

Mais ne brûlons pas les étapes. La semaine sera brutale jusqu’au bout. Manuel Valls a donné le meilleur de lui-même, c’est-à-dire le pire de la gauche. Les mots « guerre », « terrorisme », « autorité », et cette laïcité portée comme un glaive (l’expression est de Hamon) ont refleuri dans son discours de baroudeur. Ce n’est pas ce que les électeurs de gauche demandent à un candidat. L’aptitude au commandement, comme on dit dans l’armée, ne fait plus recette. Surtout quand on a vu ce que les dirigeants socialistes font de leur pouvoir. L’intelligence de Benoît Hamon a été de prendre le contre-pied exact, jusqu’à l’utopie, de cet égotisme autoritaire. Il a opposé un imaginaire, trop débridé peut-être, avec son controversé revenu universel, à un discours ancré dans un réel anxiogène, et d’un affligeant conformisme politique, c’est-à-dire, finalement, faible avec les forces libérales dominantes. Une telle opposition ne nous permet pas, cette fois encore, de rester spectateurs.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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