Ha ! ha ! ha ! les Yankees

Le mec a produit deux vérités contradictoires et successives, additionnées d’une théorie du complot.

Sébastien Fontenelle  • 22 février 2017 abonné·es
Ha ! ha ! ha ! les Yankees
© Photo : Patrick KOVARIK / AFP

Nous sommes donc entré(e)s dans l’ère de la « post-vérité », où les faits objectifs n’ont plus aucune valeur : une ère dans laquelle l’émotion et l’opinion l’emportent sur le vérifié, cependant que le complotisme et le mensonge deviennent des arguments. Cela se passe principalement – nous explique, pleine d’inquiétude, la presse dominante [1] – aux États-Unis, où le débat public est, sous Trump, gangrené par les « alternative facts » et les « fake news ».

Fort bien : gaussons-nous. Moquons les Yankees. Leur crédulité. Leur accablante médiocrité. Ha ! Ha ! Ha ! Quel peuple misérable.

Puis repassons l’Atlantique et penchons-nous d’un peu près sur ce qui se passe chez nous.

Chez nous : un candidat – et non le moindre – à l’élection présidentielle est fortement soupçonné d’avoir prodigué, dans son proche entourage, des emplois quelque peu fictifs. Comme la justice enquête, François Fillon (tu l’as reconnu) déclare d’abord que, s’il est mis en examen, il ne se présentera pas – on a quand même sa dignité, puis, n’est-ce pas : on se réclame de la haute figure tutélaire de feu le général Gaulle, qui oblige assez. Mais il suggère ensuite – et avec lui sa très pathétique sbirerie républicaine – qu’il est victime d’une conspiration. Et finalement il décrète qu’il « ira » de toute façon « jusqu’au bout » de sa course à l’Élysée.

Le mec a donc produit deux vérités contradictoires et successives, additionnées d’une remarquable théorie du complot.

Question : est-ce que la presse dominante – la même qui donc s’émeut si fort de ce que nous ayons basculé dans des temps post-vériteux – s’emploie dès lors à lui remontrer qu’il n’est certes pas digne qu’elle relaie fût-ce un mot de ses (hideux) propos de campagne ? Nenni : la voilà qui tout au rebours disserte de la pertinence de son nouveau cap sécuritaire.

Autre exemple : un éditocrate – Jacques Julliard – brait dans Marianne qu’il ne peut plus rien dire sur l’islam sans essuyer aussitôt la vindicte des bien-pensant(e)s, et que ça lui donne presque l’impression de vivre sous, tiens-toi bien, « l’occupation allemande ». Là encore, il est extrêmement facile de vérifier que le gars divague, puisque dans la vraie vie c’est au moins tous les mois qu’il revient à l’islam dans l’une ou l’autre des publications qui publient sa prose.

Mais est-ce que les journalistes dominant(e)s, constatant qu’il évolue là dans un monde parallèle où la vérité factuelle est au mieux un lointain souvenir, proclament son bannissement – pars loin, Jacques, et ne reviens qu’après avoir cuvé ton alternativefactisme ? Non point, car, chez nous, l’affirmation qu’on ne peut dire nulle part ce qu’on passe son temps à dire partout garantit plutôt des invitations quotidiennes à dénoncer dans la presse et dans les médias cette censure imaginaire : vas-y Jacques, raconte-nous encore ce que la Kommandantur nazie t’interdit de raconter. Je te laisse : je retourne me foutre un peu de la gueule des Yankees.

[1] Naturellement, cette presse n’envisage nullement que les dizaines de milliers d’articles par lesquels elle a depuis quarante ans loué le capitalisme au motif – solidement structuré – que le capitalisme était louable puissent constituer un corpus tout à fait exemplaire de ce qu’est, pour de bon, la post-vérité.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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