Contrats aidés : le plan social caché

Depuis l’annonce du gouvernement cet été, le secteur associatif tente de se mobiliser. À La Petite Rockette, bénévoles et salariés attendent, sans savoir quels emplois seront supprimés.

Malika Butzbach  • 19 octobre 2017 abonné·es
Contrats aidés : le plan social caché
© photo : Ressourcerie de La Petite Rockette (DR)

Rue du Chemin-Vert (Paris XIe), une large banderole barre la vitrine de la boutique de La Petite Rockette : « 14 emplois sur 20 sont menacés ». Dans cette association de quartier qui gère la recyclerie, mais aussi le bar voisin et de nombreux autres projets, 14 salariés sont en contrats aidés (CUI-CAE). Depuis l’annonce au mois d’août du gouvernement de diminuer nombre de ces emplois aidés, ils ne savent pas si les leurs seront renouvelés. «Désolé du retard, j’appelais Pôle emploi, s’excuse Dimitri Callens, chargé de l’administration. En ce moment, je les ai tous les jours au téléphone, mais même eux n’ont pas de retour sur les renouvellements des contrats aidés. »

« Une mesure très violente »

Léa* est en contrat aidé : depuis un an elle travaille 26 heures par semaine à la boutique, le plus souvent à la caisse. Son contrat arrive bientôt à son terme, mais elle ne sait pas s’il sera renouvelé ou si elle va de nouveau se retrouver au chômage. « C’est une mesure très violente, soupire-t-elle, les yeux dans le vague. Elle ne laisse le temps à personne de se retourner, ni aux employés ni aux associations. » Les emplois aidés représentent 6 % de l’effectif des 1,8 million de salariés du secteur associatif. Leur disparition va avoir un impact aussi bien sur les associations et leurs bénévoles que sur les bénéficiaires de ces services.

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La Petite Rockette en est une bonne illustration : en avril dernier, ses responsables ont ouvert la Cycklette. Cet atelier vélo participatif et solidaire, à la fois atelier et lieu de rencontre, est tenu par deux deux salariés en contrat aidé. « S’il n’y a plus d’employés pour assurer la permanence, la Cycklette fermera en avril prochain », se désole Dimitri, qui ajoute :

On a aussi fait un budget prévisionnel pour l’année 2018 et avec une telle diminution d’employés, on ne pourra plus payer les factures à la fin du premier semestre 2018.

Un succès reconnu

Paradoxe : plus de 75 % des emplois de l’association sont menacés mais la mairie lui a quand même demandé d’ouvrir une deuxième recyclerie dans un autre arrondissement. Cela n’étonne pas Agnès, une habituée qui réside dans la rue : « Je viens souvent, parfois juste pour flâner, parfois pour acheter quelque chose. Je me sens un peu moins prise dans une logique consumériste lorsque je rachète des objets qui ont déjà servi. » Aujourd’hui, elle est venue avec sa fille chercher un costume d’Halloween, « mais on va sans doute repartir avec quelques livres, comme à chaque fois », sourit la Parisienne. 

© Politis

Dans la petite salle, les étagères débordent de guides de voyages, mangas et autres romans de poches, tous rapportés par des gens du quartier. Les prix sont libres, laissés à l’appréciation des clients. « Sans aides publiques, on ne pourrait pas proposer des prix aussi bas », argue Dimitri Callens.

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Une situation de doute

Les contrats aidés sont alimentés par cette aide publique. « Ce n’est pas un système satisfaisant, souligne le jeune homme, conscient de la précarité de ce statut. Mais ce dispositif a le mérite d’exister : il aide n’importe quelle association. » Depuis qu’elle a le statut d’employeur, La Petite Rockette a embauché 43 personnes sous ce statut.

Selon les individus et leurs situations, cet emploi leur a apporté à tous, que ce soit un logement, une stabilité financière ou même une révélation professionnelle.

Les traits tirés de Dimitri témoignent de sa fatigue : « Le doute qui dure depuis plusieurs mois est anxiogène. Ce n’est pas comme si on se battait pour vendre plus, on lutte juste pour préserver des emplois payés moins de 12 euros de l’heure. » Jugés « coûteux » par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, les contrats coûteraient à l’État entre 7 000 et 11 000 euros par emplois selon les calculs du Collectif des associations citoyennes (CAC). Une bagatelle par rapport aux contrats du CICE, estimés par le CAC entre 286 000 et 570 000 euros par emploi créé. Sauf que le CICE est maintenu en 2018.

1 % d’augmentation du taux de chômage

Didier Minot, du CAC, souligne les contradictions du gouvernement :

On nous parle de lutte contre la pauvreté et l’on ferme les associations qui sont parfois davantage porteuses de l’intérêt général que les pouvoirs publics. On se félicite de la diminution du chômage durant l’été mais l’on lance un plan social qui représenterait une hausse de 1 % du taux du chômage.

Ce qui fait la fierté des associations, c’est d’être porteuses « de lien social, de coopération, d’éducation à la citoyenneté de défense des droits, avant d’être productrices de chiffres », rappelait le collectif en 2014.

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« Notre but, ce n’est pas de faire du profit, insiste Dimitri. On est sur le fil. Par exemple, on a des salles de répétition. Pour elles, on dépense 18 000 euros par an, et elles nous rapportent 17 000. Concrètement, elles nous coûtent 1 000 euros. Mais que se passera-t-il si on les supprime demain ? » Il liste toutes les personnes qui en subiraient les conséquences : les musiciens, les producteurs, mais aussi le public… « L’utilité du réseau associatif n’est pas quantifiable », conclut le jeune homme. « Après tout, c’est de l’argent public qui revient aux citoyens », sourit Jean-Claude Boual, président du CAC.

Mobilisation difficile

Le collectif avait d’ailleurs appelé à une « journée morte des associations » mercredi 18 octobre, demandant en urgence un moratoire sur la suppression des contrats aidés, qu’il qualifie de « plan social ». Difficile de mobiliser un monde aussi épars et divers que le secteur associatif, composé de 1 300 000 associations très diverses. « On n’a pas de syndicats ni des heures de délégation par exemple. Dans ce cas-là c’est complexe de mobiliser massivement, témoigne Dimitri Callens. D’autant que pour l’instant on ne sait rien, on va voir comment la mesure va se traduire. »

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200 mobilisations se sont réroulées en France lors de cette journée noire. Le CAC a lancé un appel, qui a recueilli les signatures de plus de 650 organisations et fédérations d’associations. Au niveau local, La Petite Rockette et quelques autres ont lancé des actions pour interpeller les députés, espérant être écoutées. Léa*, elle, croise les doigts : « De toute façon, il n’y a que ça à faire. »

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