Champigny : la haine de l’uniforme

L’agression dont ont été victimes une policière et son collègue, pris à partie par une vingtaine de jeunes, est symptomatique d’un malaise profond, à la fois social et démocratique.

Denis Sieffert  • 10 janvier 2018 abonné·es
Champigny : la haine de l’uniforme
© photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Survenue alors que ce numéro était en préparation, l’affaire de Champigny (Val-de-Marne) vient nous rappeler que le lourd dossier des violences policières doit être resitué dans une problématique plus vaste : celle d’une crise sociale qui a produit depuis longtemps des phénomènes de ghettoïsation et des violences urbaines souvent erratiques. Un climat dont les policiers sont aussi parfois victimes. À Champigny, ce sont deux d’entre eux, dont une femme, qui ont été violemment et lâchement frappés par une vingtaine de jeunes gens frustrés de n’avoir pas pu entrer dans un espace festif le soir du Nouvel An. Après avoir eu affaire aux CRS, appelés par les organisateurs, ils s’en sont pris à deux policiers isolés venus de la commune voisine.

On comprend évidemment les condamnations unanimes de ce qui s’est apparenté à une tentative de lynchage, et l’émoi des syndicats de police. D’autant plus que cette agression n’a pas eu lieu dans le cadre d’une interpellation musclée, comme ce fut le cas deux jours plus tard à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Les victimes n’étaient pas en cours d’« intervention », comme on dit pudiquement. L’acharnement des assaillants, notamment contre une femme jetée à terre et rouée de coups, est donc particulièrement insupportable. Mais l’affaire rend compte de la détestation qu’inspire l’uniforme à une jeunesse en guerre contre les institutions. Si cette relation d’hostilité a évidemment pour toile de fond la crise sociale, elle résulte aussi du comportement trop habituel de la police que confirment nombre de témoignages : harcèlement, tutoiement, insultes – parfois racistes –, brutalités.

Rappelons que, le 9 décembre 2016, la Cour de cassation avait condamné l’État français pour des contrôles d’identité discriminatoires, et que six dossiers de même nature sont en cours d’instruction au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La mort d’Adama Traoré en est une tragique illustration. Le seul crime de ce jeune homme, qui a probablement péri asphyxié sous le poids de trois gendarmes, est en effet de n’avoir pas eu ses papiers d’identité sur lui. Assa Traoré, sa sœur, décrit ailleurs dans ce journal le cortège de dénégations et de mensonges auquel elle a dû ensuite faire face dans son combat. Même si l’issue n’est pas toujours aussi tragique, il faut rappeler ici combien ces événements sont fréquents. Au point qu’on ne peut même plus parler de « bavures », et que certaines situations nous rapprochent de ce que subissent les Afro-Américains dans les États du Sud des États-Unis. C’est aujourd’hui un fait politique. Il est devenu habituel que les affirmations les plus invraisemblables des policiers soient accréditées par les instances politiques et judiciaires, et servent à clore un dossier.

Récemment encore, au Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (Yvelines), des policiers ont prétendu qu’un jeune homme dont les mains ont été brûlées au troisième degré les avait lui-même plaquées contre le chauffage d’un fourgon de police… D’où l’impression, fortement ancrée parmi ces jeunes, que la police est l’ennemi qui symbolise toute l’injustice dont ils sont victimes. Et leur conviction que les policiers sont assurés d’une impunité à peu près totale. Si on comprend tout à fait la mobilisation politique et médiatique pour condamner les événements de Champigny, on aimerait voir la même célérité à condamner les violences policières quand elles sont avérées.

À lire aussi dans ce dossier :

Des bavures qui n’ont rien d’accidentel

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