Un balancement de façade

Le Point publie une délirante pétition dont les auteur·e·s expliquent que les antiracistes « réactivent l’idée de race ».

Sébastien Fontenelle  • 5 décembre 2018 abonné·es
Un balancement de façade
© photo : ERIC FEFERBERG / AFP

L’hebdomadaire Le Point a consacré la semaine dernière une partie de sa couverture (et un dense dossier) à « ceux qui [en France] poussent à la guerre civile. » Il s’agit d’une part, selon Le Point, des « identitaires ». C’est-à-dire des prédicateurs réactionnaires qui depuis des années (1) psalmodient (2) obsessionnellement que trois lourdes menaces pèsent sur la pureté française : l’islam, l’islam et l’islam.

Qui sont ces gens, exactement ? Le Point cite le nom du journaliste d’extrême droite Éric Zemmour. Mais tait soigneusement ceux des autres doctrinaires de la dissolution imaginaire d’une identité nationale fantasmée – dont, par exemple, Alain Finkielkraut, qui déplorait en 2013 qu’en certains recoins d’une France défigurée « le cybercafé s’appelle “Bled.com” et [que] la boucherie ou le fast-food ou les deux [soient] halal ». Cette occultation a bien sûr une fonction – ou une utilité : elle minimise, en donnant l’impression qu’ils seraient peu nombreux, l’ascendant de ces semeurs de haine, qui ont en réalité imposé leurs vues dans un débat public où la stigmatisation des musulman·e·s est devenue, sous leur influence, une discipline médiatique (et politicienne) à part entière.

D’autre part, toujours selon Le Point, il existe une seconde catégorie de fauteurs de « guerre civile » : celles et ceux qui, à gauche (3), osent encore protester contre cette anathémisation permanente des mahométan·e·s – et que l’hebdomadaire (4) appelle les « islamo-gauchistes ».

En somme, donc, Le Point met sur le même plan – et accable d’un même apparent opprobre – les publicistes qui se sont fait une spécialité de vilipender les musulman·e·s, et les antiracistes qui n’acceptent pas cette molestation d’une minorité. Mais ce balancement – en lui-même si révélateur – n’est que de façade. Car, en vérité, entre les premiers et les seconds, Le Point a choisi.Et publie, en même temps qu’il fait mine de les renvoyer dos à dos, une délirante pétition dont les auteur·e·s, présenté·e·s comme d’importants « intellectuels », expliquent – entre autres énormités – que les antiracistes « réactivent l’idée de race » (et s’en prennent, évidemment, à l’islam).

Parmi ses signataires : Alain Finkielkraut. Le même, oui, qui vitupère, à l’unisson de toutes les droites identitaires, contre le grand remplacement des commerces nationaux par des échoppes « halal ». Mais à cela, manifestement – à cette excitation de passions dégueulasses dans un pays sous tension –, Le Point ne trouve rien à redire.

(1) Et au prétexte tout orwellien d’aller contre une prétendue « pensée dominante » dont ils assurent très sérieusement qu’elle serait excessivement accueillante aux musulman·e·s.

(2) Sur un mode qui n’est pas sans rappeler celui dont usaient, dans les années d’avant la Seconde Guerre mondiale et contre d’autres minorités, d’autres « anticonformistes »

(3) Ou, plus précisément : depuis le sein d’une gauche hélas gangrenée, elle aussi, par cette islamophobie.

(4) Où l’on sait bien sûr ce qu’une telle dénomination – qui en rappelle d’autres, plus anciennes – peut avoir d’infamant dans l’esprit de ceux qui l’ont forgée.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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