Humilier les plus humbles

Ce gouvernement ne demande nullement aux adeptes de l’optimisation fiscale de retrouver le sens de l’impôt.

Sébastien Fontenelle  • 27 février 2019 abonné·es
Humilier les plus humbles
© CRÉDIT photo : LUDOVIC MARIN / AFP

Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, vient de donner au Journal du dimanche (JDD) d’Arnaud Lagardère un long entretien dans lequel elle formule ce que cette serviable publication présente comme des « propositions surprenantes sur la fiscalité, les aides sociales et les services publics ».

Par exemple, Jacqueline Gourault considère qu’Édouard Philippe, Premier ministre (qui se trouve donc être son chef et qui, suppose-t-on, ne lui tiendra aucun grief de cette menue flagornerie), a complètement « raison » de proclamer qu’« il faut des “contreparties” aux aides sociales ». Car, explique-t-elle, si « la collectivité » a « le devoir » de proposer un « accompagnement » aux nécessiteux qui ont véritablement « besoin d’aide », ces derniers doivent de leur côté faire la preuve qu’ils méritent réellement cette aumône, en se « responsabilisant » et en « consacrant » par exemple « quelques heures de leur temps aux autres, en contrepartie des aides sociales ».

Surtout, Jacqueline Gourault expose dans cette interview ce que les obligeant·e·s journalistes du JDD appellent « une idée explosive » : elle « propose que les 53 % de Français qui ne paient pas l’impôt sur le revenu » – et dont elle omet opportunément de préciser que ce n’est bien sûr pas par choix qu’ils ne l’acquittent pas, mais bien parce que leurs revenus sont trop modestes – « y soient assujettis à la hauteur de leurs moyens, “même de manière très symbolique” ». Car cela, précise-t-elle, leur « redonnerait le sens de l’impôt ».

Et maintenant : quelques rappels.

Petit un : le gouvernement dans lequel sert Jacqueline Gourault vient encore de distribuer, sous la forme d’une énième baisse de ses charges, 20 milliards d’euros d’aides publiques (payées par la collectivité) au patronat – qui n’a jamais tenu sa promesse de créer, en échange de ces gigantesques largesses, des millions d’emplois.

Petit deux : ce gouvernement vient, en abolissant l’ISF, de dégrever encore de 3,2 milliards d’euros (payés par la collectivité) l’imposition des contribuables les plus aisé·e·s.

Petit trois : ce gouvernement vient d’alléger l’exit tax – un dispositif destiné, au moins en théorie, à lutter contre l’évasion fiscale dans laquelle excellent des possédant·e·s (aux frais, il va de soi, de la collectivité).

Liste non exhaustive.

Or, à ces diverses catégories d’assisté·e·s, Jacqueline Gourault n’administre aucun sermon ni n’inflige aucune insulte, fût-elle seulement implicite – en suggérant par exemple, comme elle fait avec les pauvres, que leurs représentant·e·s seraient d’inciviques (et irresponsables) pique-assiettes. À ces bénéficiaires d’aides étatiques dont le montant cumulé se chiffre par centaines de milliards, elle ne réclame aucune contrepartie. À ces adeptes de l’optimisation fiscale, comme on dit joliment, elle ne signifie nullement qu’il serait temps – oh oui – qu’ils retrouvent le sens de l’impôt.

Mais il est vrai aussi qu’il serait risqué de fâcher ces riches clientèles – quand il est si facile d’humilier les plus humbles.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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