L’heure de l’associationnisme va-t-elle enfin sonner?

Dans #DéconfinonsLesIdées, nous interrogeons Jean-Louis Laville, titulaire de la chaire « Économie solidaire » au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et auteur de Réinventer l’association (1). Selon lui, les formes d’associationnisme doivent cesser d’être méprisées par les pouvoirs publics, qui devraient au contraire mieux les intégrer dans la vie publique et les protéger du marché.

Victor Le Boisselier  • 1 juin 2020
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L’heure de l’associationnisme va-t-elle enfin sonner?

Dans le monde entier, les associations, les coopératives ou encore les initiatives de mutualisation sont en plein essor. Ces formes d’auto-organisation volontaire par les citoyens peuvent être regroupées sous une même bannière : l’associationnisme. Pour donner une idée, la France compte aujourd’hui 1,5 million d’associations, dans lesquelles sont engagés 22 millions de bénévoles et 1,8 million de salarié·es. Bien que peu encouragé par les pouvoirs publics, ce dynamisme s’est révélé particulièrement efficace durant la crise sanitaire où les formes de solidarité informelles se sont multipliées et ont su pallier les carences de l’État. Un moment idéal, donc, pour réfléchir à leur place dans la société et l’importance qui leur est donnée.

Pourquoi est-il encore plus nécessaire d’intégrer les associations dans la société post-Covid ?

Jean-Louis Laville : Ce que l’on a découvert pendant ces quelques semaines, c’est que la technocratie qui voulait piloter l’ensemble du service public, mais aussi un ensemble d’activités sociales et médico-sociales, était absente au moment des problèmes d’une ampleur inédite. On s’est rendu compte que les personnes elles-mêmes arrivaient à produire des réponses et à être réactives parce qu’elles utilisaient des formes d’entraide et de coopération horizontale. Elles ont montré qu’il y avait une capacité dans l’auto-organisation collective à répondre aux défis socio-écologiques de demain. Depuis quelques décennies, les systèmes de gestion sont construits sur la défiance vis-à-vis des personnes. Pendant la crise, les formes de confiance ont ressurgi et ont permis d’avoir des réponses appropriées en cas d’événements non attendus.

Comment permettre une coconstruction entre réseaux associatifs et pouvoirs publics? Quels exemples pouvez-vous donner?

Chaque publication dans la série #DéconfinonsLesIdées soulève une question qui répond à la crise du #covid19 et à ses causes profondes, et propose une solution grande ou petite. Une série pour inspirer votre réflexion et susciter le débat.
Il faut qu’il y ait cette capacité d’auto-organisation, mais il faut aussi qu’il y ait une capacité de péréquation pour avoir une redistribution entre les territoires. Une articulation entre les formes d’auto-organisation et les pouvoirs publics doit exister.

On voit apparaître dans plusieurs contextes une nouvelle génération d’action publique, fondée sur la coconstruction entre les réseaux citoyens et les pouvoirs publics. L’exemple de Barcelone est développé dans notre ouvrage (2). Il essaye de prendre appui sur ce qui existe déjà dans les différents quartiers pour y développer de nouvelles formes de bien vivre. Un exemple est celui du quartier de Nou Barris, où une association s’est créée à la suite de l’occupation d’une usine sous Franco. Ce lieu avec une mémoire forte s’est structuré pour offrir des activités culturelles aux habitants des quartiers, comme une école de cirque. Cette structure est également devenue le guichet du service public dans le quartier.

Comment pérenniser ces associations et ne pas tomber dans le « social business »?

D’abord en reconnaissant le rôle qu’elles jouent. Puis en leur permettant de trouver leurs propres ressorts associationnistes, sans rentrer dans tout un nombre d’impasses vers lesquelles elles sont dirigées: encouragement à la philanthropie, rapprochement entre les associations et les grandes entreprises privées qui mettent les associations du côté du marché. Le modèle socio-économique associationniste ne doit pas être importé mais partir des réalités propres au monde associatif. Les recherches montrent que ce modèle est celui de l’hybridation composé de ressources bénévoles (non monétaires), des ressources négociées avec les pouvoirs publics (non marchandes) et dans certains cas des ressources marchandes qui viennent des activités propres de l’association. Il s’agit donc de rompre avec l’idée qu’il y a d’un côté l’État et de l’autre côté le marché et laisser la place à plus de diversité.


(1) Réinventer l’association, Jean-Louis Laville, éditions Desclée De Brouwer, 2019.

(2) Du social business à l’économie solidaire. Critique de l’innovation sociale, Maïté Juan, Jean-Louis Laville, Joan Subirats, éditions Érès, 2020.

Idées
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