Contre le fascisme, il faut utiliser le bulletin de vote Macron le 24 avril

Nous considérons que la position abstentionniste de gauche est très dangereuse et qu’il faudra impérativement voter contre Le Pen.

Collectif  • 19 avril 2022
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Contre le fascisme, il faut utiliser le bulletin de vote Macron le 24 avril
© Pauline Tournier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle ont eu l’effet d’une douche froide pour les électeurs et les électrices de gauche : un nouveau duel entre Macron et Le Pen aura lieu le 24 avril. Depuis, les communiqués ou les conférences de presse, les échanges, parfois d’une grande virulence, sur les réseaux sociaux, dans les conversations informelles, expriment la position qu’il conviendrait d’avoir pour le second tour. À gauche, certain.es appellent explicitement à voter contre Le Pen, d’autres à ne pas voter pour Le Pen. En prenant des formes différentes, l’idée de s’abstenir, de ne pas « pouvoir » ou « vouloir » voter pour Macron une seconde fois, de ne pas vouloir faire barrage au Rassemblement national se répand largement.

Nous considérons que cette dernière position est très dangereuse et qu’il faudra impérativement voter contre Le Pen.

Bien sûr, nous détestons profondément les politiques menées pendant le mandat d’Emmanuel Macron ; en bref, une politique contre les classes populaires et les opprimé.es, contre l’État social et contre toute idée de solidarité. Depuis cinq ans, nous sommes nombreuses et nombreux à la subir et à nous y opposer, dans la rue, dans des associations et syndicats, et de toutes les manières possibles. Nous avons dénoncé la répression des mouvements sociaux, des quartiers populaires et des migrant.es, les violences policières, les attaques en règle contre les services publics, la réforme des retraites, la précarisation croissante, les attaques contre les principes de l’État de droit (loi séparatisme notamment), mais aussi la diffusion et la banalisation des idées d’extrême droite.

Cependant, il faut distinguer le fascisme pur et la fascisation : on ne peut pas se permettre d’être dupes devant la dédiabolisation du Rassemblement national que de nombreux médias et une partie de la classe politique participent à accréditer en laissant libre cours aux discours racistes et nationalistes. Plus que jamais, il est aujourd’hui nécessaire d’évacuer le danger immédiat du fascisme pour conserver la possibilité de lutter pied à pied contre la politique d’Emmanuel Macron. Car l’issue du second tour est aujourd’hui incertaine et l’écart entre les deux candidats tend à se réduire comme une peau de chagrin : en ce sens, l’abstention à gauche ne servira en aucun cas à exprimer un mécontentement légitime à l’égard d’Emmanuel Macron et son gouvernement, mais risque bien de permettre au Rassemblement national de s’installer durablement dans l’appareil d’État.

Contrairement à ce que prétend sa candidate, le programme du Rassemblement national va à l’encontre des intérêts des classes populaires, ne serait-ce que les annonces concernant l’âge de départ à la retraite puisqu’une toute petite minorité de personnes sera concernée par le départ à 60 ans. Par ailleurs, sa politique économique n’aura que l’apparence de la redistribution keynésienne, et l’État continuera en fait de jouer le rôle de facilitateur pour le secteur privé que la politique néolibérale lui fait déjà mener. À l’encontre de la laïcité et de la liberté de conscience et d’expression, Marine Le Pen annonce publiquement l’interdiction du port du foulard dans l’espace public, un droit des plus élémentaires – proposant ainsi de passer un nouveau palier dans les politiques islamophobes et la répression des quartiers populaires. Elle va également d’ores et déjà à l’encontre de la liberté de la presse et soutient sans scrupules les pratiques racistes et sexistes de la police. Car, derrière les effets d’annonce, sa politique s’oppose aux droits des femmes. Mais surtout, les politiques sociales annoncées sont indexées à l’idée de préférence nationale, c’est-à-dire d’une discrimination xénophobe généralisée, qui se doublera dans les faits d’une préférence raciale sortie des heures les plus sombres de l’histoire française.

Certain.es affirment que la suite de la présidentielle se jouera lors des législatives et/ou dans la rue. Mais que pourront faire les député.es, dont la couleur politique n’est pas encore certaine, si une présidente nouvellement élue contourne systématiquement l’Assemblée et le Parlement par le référendum ? Et comment construira-t-on une opposition dans la rue si nos organisations et nos luttes sont progressivement criminalisées et réprimées encore plus brutalement que sous Macron ? Les régimes d’extrême droite font plus que réprimer des manifestations : ils les interdisent et emprisonnent les opposant.es sans autre forme de procès. L’extrême droite porte en elle la haine des mouvements d’émancipation et l’histoire montre qu’elle a toujours bénéficié du soutien d’un appareil policier enclin aux idées de « purge » portées historiquement par l’extrême droite. L’extrême droite tue, on l’a vu par exemple au Brésil.

Son arrivée au pouvoir galvaniserait assurément des groupuscules fascistes dont les exactions se multiplient d’ores et déjà un peu partout depuis des années, à la faveur de la banalisation des idées racistes, autoritaires, masculinistes, etc., dans le « débat public ». Mais il n’y a pas de doute possible : un saut quantitatif s’opèrera et ce sont la contestation sociale et l’expression publique, dans la rue, dans les associations, dans les syndicats, dans les recherches et dans les médias qui seront menacées puis rapidement interdites.

Il faut également replacer ce vote dans un contexte européen et international plus large. Les fascistes sont déjà au pouvoir en Pologne et en Hongrie ; ils continuent d’être forts en Italie, ils sont extrêmement bien structurés en Belgique et leur poids augmente en Espagne. Les partis européens d’extrême droite n’attendent qu’une chose : être de plus en plus nombreux à diriger des États de l’Union pour pouvoir détourner de leur objectif premier les institutions européennes et les utiliser pour installer une Europe raciste et à l’identité monolithique, non démocratique et fondée sur l’exploitation forcée de groupes d’individus considérés comme des êtres de seconde zone. Et ils sont aidés en cela par Poutine et ses sbires qui mènent en Ukraine le premier acte européen d’une guerre contre la démocratie libérale (libérale au sens politique fort et non au sens économique). Et si, comme cela semble se profiler, le Congrès des États-Unis repasse aux mains des Républicains trumpistes aux prochaines élections de mi-mandat à l’automne prochain, ils pourront également compter sur une aide transatlantique.

Ne fétichisons donc pas le vote : il n’est pas question d’un acte de foi. Il s’agit seulement pour le moment de nous trouver dans les meilleures conditions possibles pour lutter, reconstruire une gauche alternative au néolibéralisme, seule à même de proposer un changement radical et émancipateur. Pour cela, nous continuerons le combat tout de suite après le 25 avril, avec notamment les manifestations du 1er mai, mais également lors des législatives qui s’annoncent et à l’occasion desquelles il s’agit de faire bloc contre l’extrême droite, la droite et LREM.

Plus qu’un vote utile, il s’agit d’un vote de nécessité.

Renaud Bécot, historien

Farid Bennaï, éducateur spécialisé, militant antiraciste FUIQP

Marie-Agnès Combesque, autrice

Annick Coupé, militante altermondialiste

Alexis Cukier, philosophe, CGT Ferc Sup, collectif Rejoignons-nous

Pauline Delage, sociologue, adjointe au maire du 4e secteur de Marseille

Fanny Gallot, historienne, syndicaliste au SNESUP

Pierre Gilbert, sociologue

Sébastien Fontenelle, journaliste

Hugo Harari-Kermadec, économiste

Julien Lusson, Ateliers Travail et Démocratie

Sarah Mazouz, sociologue

Norig Neveu, historienne, adjointe au maire du 3e secteur de Marseille

Ugo Palheta, sociologue

Omar Slaouti, enseignant, militant antiraciste, collectif Rejoignons-nous

Pierre Tevanian, enseignant, philosophe, collectif « Les mots sont importants »

Sylvie Tissot, sociologue, collectif « Les mots sont importants »

Sophie Zafari, syndicaliste

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Tribunes

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