Taha Bouhafs, le malaise et la gauche

Le séquençage de l’affaire Taha Bouhafs par une partie du noyau dur de La France insoumise est particulièrement malaisant.

Nadia Sweeny  • 17 mai 2022
Partager :
Taha Bouhafs, le malaise et la gauche
© JULIEN DE ROSA / AFP

Le séquençage de l’affaire Taha Bouhafs est particulièrement malaisant. L’affirmer n’est une remise en question ni de la violence raciste qu’a subie le militant, investi par la Nupes pour les législatives dans le Rhône, ni de la réactivité de La France insoumise. Devoir le rappeler traduit d’ailleurs la profondeur du trouble. Revenons aux faits connus. Le 2 mai, Caroline De Haas, militante féministe, reçoit « deux témoignages différents » mettant en cause Taha Bouhafs. Des témoignages « suffisamment sérieux pour prévenir LFI ». Une cadre du mouvement est informée. Son identité n’est pas révélée. Aucune réaction n’est avérée jusqu’à ce que, le 7 mai, le comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI reçoive un témoignage écrit accusant Taha Bouhafs d’agression sexuelle.

Le lundi 9, les députées Clémentine Autain et Mathilde Panot convoquent le mis en cause et lui font part de l’impossibilité de maintenir son investiture. Il est convenu qu’il retire de lui-même sa candidature. L’information est transmise à un petit groupe dirigeant – notamment des membres du comité électoral dirigé par Manuel Bompard et Paul Vannier. Dans la nuit du 9 au 10, Taha Bouhafs annonce son retrait. Sur Facebook, il met en cause «une tempête d’attaques sans précédent. […] Tous les jours, une nouvelle calomnie, une nouvelle insulte, une nouvelle menace de mort, une nouvelle accusation ». Aucune mention de la nature des « calomnies ». Le 10 mai, à 7 h 23, Clémentine Autain relaie pourtant l’écrit du militant en dénonçant « la violence des attaques venues de l’extrême droite, relayées ad nauseam dans les médias, la Macronie et jusque dans certains rangs à gauche, contre un jeune homme sans diplôme, issu des [quartiers populaires] et de l’immigration ». Jean-Luc Mélenchon lui emboîte le pas à 9 h 41, fustigeant « une meute » qui « s’est acharnée contre lui ».

Cette position déclenche une vague de soutien. La gauche antiraciste s’émeut, à raison, d’un retrait officiellement dû à des attaques racistes. Quel n’est pas le malaise lorsque les véritables raisons de son abandon sont dévoilées le lendemain. Le 13 mai, Clémentine Autain, dont l’engagement contre les violences faites aux femmes ne saurait être questionné, s’explique dans L’Obs : « À ce moment-là, il n’était pas question de révéler les accusations sans le consentement des plaignantes. Désormais, nous en parlons, puisque les médias ont révélé les raisons du retrait de Taha Bouhafs. » Une partie du noyau dur de La France insoumise a-t-elle cru, dans le respect de la volonté des victimes, que l’affaire ne sortirait pas ? Si tel est le cas, il y a, a minima, une erreur de jugement. En attendant, c’est la lutte antiraciste qui trinque, et ses adversaires qui se délectent.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale
Parti pris 30 octobre 2025

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale

L’Assemblée nationale a adopté, pour la première fois sous la Ve République, un texte du Rassemblement national. Il ne fallait qu’une voix de plus pour l’en empêcher. Derrière la technicité du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, c’est un basculement politique majeur.
Par Pierre Jacquemain
Alerte rouge sur le front républicain
Parti pris 29 octobre 2025

Alerte rouge sur le front républicain

Nouvel indicateur de la victoire de la dédiabolisation de l’extrême droite, l’effritement significatif du front républicain. Plus qu’une photographie du moment, un sondage que Politis publie ce 29 octobre doit sonner l’alerte, notamment à gauche dont une partie des sympathisants décroche du réflexe dit « républicain ».
Par Pierre Jacquemain
Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure
Parti pris 16 octobre 2025

Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure

Alors qu’Olivier Faure, le patron des socialistes, promet de « grandes victoires » à venir dans le cadre du débat budgétaire, les contraintes parlementaires et l’équilibre des forces en présence au Parlement garantissent, ni plus moins, l’échec de la promesse socialiste.
Par Pierre Jacquemain
Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente
Parti pris 14 octobre 2025

Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente

Le PS s’apprête à ne pas voter la censure contre le gouvernement Lecornu. Une décision au nom de la « responsabilité » qui ravive pourtant un vieux soupçon : celui d’un parti incapable de choisir entre rupture et accommodement. À trop vouloir durer, le socialisme français risque surtout de s’effacer.
Par Pierre Jacquemain