Élections au Brésil : un prêtre en croisade pour les pauvres

À São Paulo, où sa paroisse fournit 1 200 pains par jour aux personnes qui ont faim, le curé Júlio Lancelloti se bat contre l’hostilité que subissent les plus défavorisés.

Patrick Piro  • 21 septembre 2022 abonné·es
Élections au Brésil : un prêtre en croisade pour les pauvres
© Le prêtre Júlio Lancellotti arrive au centre communautaire São Martinho de Lima, à São Paulo, pour la distribution alimentaire quotidienne, le 30 mai 2022. (Photo : FILIPE ARAUJO / AFP.)

Il est 7 h 30, et Júlio Lancellotti vient de terminer sa messe quotidienne dans la petite chapelle de la paroisse Archange Saint-Michel, quartier de la Mooca à São Paulo. Sous le préau du presbytère démarre un autre office. Avec une dizaine de bénévoles, il prépare les chariots pour la distribution matinale auprès des gens de la rue, petits pains et articles d’hygiène.

Le cortège se dirige vers le centre communautaire São Martinho de Lima, à quelques rues de là. Une sorte d’usine de l’urgence sociale, où des fonctionnaires de la ville enregistrent chaque jour les arrivant·es par centaines, et dont un certain nombre dorment sur le trottoir près de la porte.

Il y a quelques mois, l’équipe du prêtre distribuait sous le préau du presbytère, « mais la demande a tellement augmenté que nous avons rallié ce centre pour être plus efficaces », explique Cintia, bénévole. Au plus fort de la pandémie de covid, il y passait plus de 8 000 personnes par mois, un doublement en quelques semaines.

« En août 2020, 80 % d’entre elles étaient inconnues des services auparavant, relate Paulo, bénévole. Des familles, parfois, et des personnes logées en auberge sociale, qui ont dû arbitrer pour leurs dépenses entre loyer et alimentation. » Pour faire face à cet afflux, Júlio Lancellotti a décidé d’ouvrir une boulangerie destinée aux distributions quotidiennes. « Elle nous livre 1 200 pains par jour. »

© Politis
Une distribution alimentaire et de produits d’hygiène au centre communautaire Sao Martinho de Lima. (Photo : Patrick Piro.)

De la file qui semble ne pas vouloir s’épuiser, dans le vaste hangar du centre communautaire, jaillit parfois un salut à l’endroit du prêtre. Un sourire, quelques mots qui signalent un compagnonnage durable. Il ne rechigne pas à laisser pleurer sur son épaule ou à prendre dans ses bras un homme en mal d’affection. À 73 ans, s’il fatigue un peu, Júlio Lancellotti reste un point d’ancrage inaltérable pour de nombreuses personnes à la dérive, dans ce quartier.

Attaqué par Bolsonaro

Il y a bien plus que de la compassion, chez lui. Haute taille, regard acéré, verbe tranchant et langue pas dans sa poche, Júlio Lancellotti est un opposant politique. À sa manière, à l’image des curés du temps de la théologie de la libération. Parce qu’il l’a un jour publiquement traité d’homophobe, de raciste et de machiste, Bolsonaro lui a intenté un procès en diffamation. « Il l’a perdu. Je n’ai fait que commenter ses propres propos… »

Les inégalités en sont devenues plus évidentes, jusqu’à l’impudeur, accentuant la faim, le chômage, les difficultés de logement.

La diplomatie du verbe, très peu pour lui. Le retour fulgurant de la faim au Brésil, « c’est la conséquence d’un système capitaliste néolibéral toujours plus acéré, concentrant les revenus comme jamais. Les inégalités en sont devenues plus évidentes, jusqu’à l’impudeur, accentuant la faim, le chômage, les difficultés de logement. Et puis la pandémie de covid-19 n’a pas été combattue, ici. Le négationnisme de Bolsonaro a occasionné près de 700 000 décès au Brésil. »

Lula peut-être de retour au pouvoir, une espérance ? Son débit s’accélère. « Espérance ? Non, alternance de l’exercice du pouvoir, à ce stade. Ne nous berçons pas de l’illusion que ça suffirait à changer les choses en profondeur. Pendant les deux mandats de Lula, jamais les banques n’ont fait autant de profits ! Il aurait des marges de manœuvre, mais la justice, la police, le système pénitentiaire resteront les mêmes. Qui peut croire que le marché immobilier va changer, que l’industrie pharmaceutique va changer ? Le fameux “État démocratique de droit” n’est en rien solidaire des pauvres ! Les conflits et les luttes vont se poursuivre. »

Lutte contre l’aporophobie

Les murs du préau du presbytère affichent les credo du lieu. Il y a la fameuse plaque « rue Marielle Franco » accrochée dans des milliers d’officines de gauche du pays pour brandir la mémoire de cette conseillère municipale de Rio de Janeiro, noire, féministe, issue d’une favela, lesbienne, défenseure des droits des minorités. Et assassinée le 14 mars 2018, alors qu’elle enquêtait sur les crimes de la police militaire fédérale dans les favelas.

Lire aussi > Les soeurs de Marielle sont prêtes et notre dossier Battre Bolsonaro

En face, un portrait géant de sœur Dulce des pauvres côtoie l’affiche de la dernière croisade en date du prêtre : la lutte contre l’aporophobie, cette hostilité manifestée envers les pauvres, et que le mandat Bolsonaro a largement décomplexée. « Non au mépris des pauvres », a-t-il fait peindre sur les murs extérieurs.

« Il reçoit régulièrement des menaces », glisse une bénévole préoccupée par sa sécurité. Lui désamorce. « Il y en a toujours eu, parfois plus, parfois moins. Mais je ne prends aucune précaution particulière, je mène une vie normale. » Il vient d’ailleurs de remplacer la grille antieffraction qui enserrait le préau par des bacs de fleurs, afin que le lieu soit plus ouvert et accueillant.

Monde
Publié dans le dossier
Battre Bolsonaro
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »
Reportage 23 avril 2025 abonné·es

En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba »

Depuis le début de la guerre, les raids de l’armée israélienne s’intensifient dans le nord du territoire occupé. Dans les camps de réfugiés palestiniens de Jénine et Tulkarem, près de 50 000 personnes ont été poussées hors de leurs maisons, sans possibilité de retour. À Naplouse, les habitants craignent de subir le même sort.
Par Louis Witter
« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »
Entretien 23 avril 2025 abonné·es

« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »

Le député communiste de la Knesset Ofer Cassif revient sur l’annexion de la Cisjordanie, le génocide à Gaza et l’évolution de la société israélienne.
Par Louis Witter
L’État binational, une idée juive
Analyse 23 avril 2025 abonné·es

L’État binational, une idée juive

L’idée d’un État commun a été défendue dès 1925, par l’organisation Brit Shalom et par des prestigieux penseurs juifs, avant de s’évanouir au profit d’une solution à deux États. Mais cette dernière piste est devenue « impraticable » au regard de la violente colonisation perpétrée à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés aujourd’hui. Quelle autre solution reste-t-il ?
Par Denis Sieffert
L’héritage du Pape François : réforme plutôt que révolution
Église 21 avril 2025 abonné·es

L’héritage du Pape François : réforme plutôt que révolution

Le Pape François a marqué son pontificat par un changement de discours sur des questions cruciales comme l’immigration et la crise climatique, ainsi qu’une ouverture relative sur les questions morales. Il est mort à l’âge de 88 ans ce lundi 21 avril.
Par Pablo Castaño