Violences sexuelles au PCF : une parole qui n’en finit pas de se libérer

Politis a recueilli les témoignages d’anciennes militantes du Parti communiste français et de son mouvement de jeunesse, qui racontent une organisation à l’« atmosphère anxiogène », « presque sectaire » et qui pousse les victimes vers la sortie, malgré des engagements pris depuis des années.

Daphné Deschamps  • 29 mars 2023 libéré
Violences sexuelles au PCF : une parole qui n’en finit pas de se libérer
© Stephane Mouchmouche / Hans Lucas via AFP.

« Le parti préférera toujours défendre un homme, aussi médiocre soit-il, qu’une femme, même si c’est la meilleure militante de sa section. » Les mots d’Alice* tombent comme un couperet, celui de cette réalité violente, qui serait profondément ancrée dans la manière d’être du Parti communiste français, selon les témoignages que nous avons recueillis.

« Au parti, un homme pourra toujours se transformer en militant idéal, alors qu’une femme finira par partir, pour fonder une famille ou parce qu’elle craquera sous la pression, la misogynie ou les violences sexuelles », résume sobrement la jeune communiste.

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Les prénoms des victimes ont été modifiés.

Car, au PCF, l’existence des violences sexistes et sexuelles (VSS) semble perdurer, et ce dès l’entrée au Mouvement jeunes communistes de France (MJCF, ou JC). À l’hiver 2018, puis 2019, deux mouvements de libération de la parole, dans les colonnes du Monde, avaient secoué les communistes.

Le quotidien concluait sa seconde enquête avec espoir, les responsables du PCF s’engageant à des exclusions, à la mise en place d’un dispositif d’accueil des victimes et à un changement de dynamique. Le 17 mars 2019, son conseil national votait une résolution contre les VSS, le dispositif « Tolérance zéro », dédié à l’accompagnement des victimes.

Pressions au silence

Pourtant, quand Anna* entre à la JC Paris Sud en septembre 2019, l’ambiance n’a guère changé. Elle a 18 ans, elle est jeune, motivée, et devient rapidement une des cadres de sa section. Elle ne restera pas longtemps au MJCF, qu’elle quitte fin 2020, après avoir subi des agressions de deux militants.

La première qu’elle raconte à Politis a lieu dès son arrivée : le secrétaire de la section, Mathieu**, encarté depuis longtemps et « universellement reconnu comme un très bon militant », adopte une attitude «ambiguë » à son égard. En décembre 2019, il l’agresse après une « discussion alcoolisée » dans un local du PCF et « lui cogne la tête contre un radiateur », devant témoin.

La jeune femme s’en tire avec un coquard, et souffre tellement qu’elle en manque ses partiels, comme l’atteste un certificat médical que nous avons pu consulter. En parallèle, Anna est en couple avec un autre militant de Paris Sud, Loïc**, et subit violences conjugales et agressions sexuelles. Elle explique avoir tenté de dénoncer son compagnon, d’abord auprès de Mathieu, puis les deux auprès d’autres membres de sa section et des instances du PCF.

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Ces prénoms ont été modifiés à la demande des victimes.

Elle raconte n’avoir reçu « que des pressions au silence dans sa section ». Elle en discute avec le secrétaire de la fédération parisienne du MJCF, Amado Lebaube, la secrétaire nationale de l’Union des étudiants communistes (UEC), Jeanne Péchon, et une militante de la section Paris Sud membre du dispositif « Tolérance zéro ». « Concernant Mathieu, dont ils sont tous proches, ils ne veulent pas gérer ça et n’engagent aucune médiation », explique-t-elle. « Ils m’ont dit de contacter la commission des conflits, mais que ça ne servirait à rien. »

Loïc exprime des remords, et Anna se lance seule dans une procédure réhabilitative. Plus tard, il est « purgé », c’est-à-dire exclu de l’organisation, « pour des différends affinitaires». Et quelques mois après, Anna est également écartée à demi-mot. Mathieu, lui, travaille maintenant sur les questions économiques pour le parti, et a écrit sur les violences faites aux femmes dans le journal des jeunes communistes.

Face au récit d’Anna, Amado Lebaube se souvient de l’altercation avec Mathieu et indique qu’une médiation a eu lieu après le départ d’Anna de l’organisation, en accord avec le témoignage de la jeune femme. Mais, concernant Loïc, la mémoire lui fait défaut : «Je ne vois pas vraiment qui c’est, je n’ai jamais été saisi de faits de cette nature, il ne me semble pas qu’on ait eu un Loïc à cette période à la JC Paris Sud. » Pourtant, quelques clics suffisent pour s’apercevoir qu’Amado Lebaube suit Loïc sur les réseaux sociaux, jusqu’à « aimer » sa photo de profil Facebook, à l’époque des faits qu’Anna évoque.

Purges et omerta

Des militantes « purgées », poussées vers la sortie, à qui on a intimé de se taire pour ne pas éclabousser « le parti », Politis en a rencontré une dizaine. Elles ont subi divers degrés de violence, du harcèlement moral au viol, ou ont juste tenté de dénoncer ce qu’elles avaient vu.

Certaines ont déjà témoigné en 2018, puis en 2019, et les cadres du PCF leur avaient promis d’exclure les agresseurs et de changer les pratiques. Quatre ans plus tard, si certains se font plus discrets, des auteurs de violences signalées sont toujours présents, tout comme ceux qui les ont protégés.

Un chef de section avait une colocation plutôt grande, et il choisissait toujours des mineures pour dormir chez lui.

Les récits de ces militantes décrivent une atmosphère anxiogène chez les JC, qui se poursuit au PCF. Beaucoup commencent à militer avant leur majorité, dans une organisation qui compte des membres de 13 à presque 30 ans. Rien ne les sépare, y compris lors des déplacements nationaux. Et, hiérarchie oblige, ce sont les hommes encartés depuis longtemps qui décident qui dort où : « Un chef de section avait une colocation plutôt grande, et il choisissait toujours des mineures pour dormir chez lui, se souvient Marine*. Il les groomait jusqu’à leur majorité. »

« Castorisation »

Le grooming, manipulation de mineur·es par des adultes, qui entretiennent une amitié déséquilibrée pour profiter sexuellement des plus jeunes, revient souvent. La « castorisation », terme popularisé en 2017 lors d’une libération de la parole à l’Unef et qui désigne un système clos où l’on se « fait une place avec sa queue », est aussi dans la culture du PCF, jusque dans les surnoms : Léonard Léma, responsable de la section tourangelle, était appelé « le castor de la JC » selon des militantes locales, à cause de « son habitude de ne draguer que des lycéennes ».

Il n’est pas le seul : Estelle* entre à la JC en 2015. T., aujourd’hui conseiller municipal PCF, est âgé à l’époque de 24 ans et est numéro 2 en Haute-Garonne. Dès son arrivée, Estelle entend des rumeurs au sujet d’agressions de lycéennes qu’il « raccompagne ». À la même période, selon elle, il est « en couple» avec une très jeune militante de 13 ans. Et ils seraient toujours ensemble à ce jour, bien qu’il ait « attendu la majorité de cette dernière pour officialiser la relation ».

Estelle, qui vient de l’Unef, parle de « choc des cultures » à son arrivée au PCF. Elle devient la première femme cadre de la JC Toulouse, dans une ambiance « chelou-virilo ». Elle avertit les recrues des rumeurs autour de T., jusqu’au jour où l’une d’entre elles lui raconte une agression. Elle appelle alors Pierre Lacaze, à l’époque secrétaire fédéral du PCF.

Mon crime, c’était de m’en être prise au chef de section.

Selon elle, celui-ci met un « coup de pression » à T., mais il ne se passe rien de plus. T. comprend que c’est Estelle qui a l’appelé, et retourne la section contre elle, dans ce qu’elle décrit comme un « procès de Moscou ». « Mon crime, c’était de m’en être prise au chef de section. Mais, officiellement, ils m’ont reproché de coucher avec l’ennemi », raconte la jeune femme, qui fréquente un militant du NPA.

Dans une conversation Facebook que nous avons pu consulter, des membres de la section écrivent à son sujet : « Jamais je ferai confiance à une meuf qui sest mise à quatre pattes devant le NPA », et elle raconte une campagne de harcèlement jusqu’à ces heures de dénigrement où elle est décrite comme « une ayatollah du féminisme radical ». La jeune femme part en pleurs alors que sa section vote sa « purge ».

« Tolérance zéro », un dispositif vain

Les militantes interrogées décrivent une organisation où les filles ne sont intégrées que par des garçons qu’elles fréquentent, dans une ambiance « presque sectaire ». « Il faut absolument comprendre la JC comme une secte régie par une mentalité “nous contre le monde” et structurée par lalcool », résume Léa*. Au PCF, l’alcool coule à flots, en réunion et en assemblée générale, y compris pour les mineurs.

« La JC ma rendue alcoolique avant mes 18 ans, et c’était toujours le parti qui invitait », se souvient Léa. Une affirmation qu’Amado Lebaube dément, arguant que l’alcool est proscrit en réunion depuis « au moins cinq ans », même s’«il y a des temps informels où des militants peuvent être amenés à boire de l’alcool ensemble».

Ces dynamiques explosent à la Fête de ­l’Humanité. « Tout le monde dort au camping, et les femmes savent très bien qu’il ne faut pas dormir seule », avance Laura*. « Dans toutes les organisations, on connaît des femmes qui ont été agressées ou violées à l’Huma. » Nombreux sont ceux à boire jusqu’à ne plus se souvenir de leur soirée, ce dont les agresseurs profitent.

La fête est aussi révélatrice des réalités des exclusions et des rancœurs qui se maintiennent. Estelle raconte avoir été prise à partie et menacée en 2021 devant le stand du NPA, où elle milite désormais. Quant à Alice, elle se souvient de l’édition 2019, quelques mois après la mise en place de « Tolérance zéro ».

Elle avait confié aux instances du parti avoir été victime d’un viol commis par un militant de l’Isère. Celui-ci était donc censé être exclu. Pourtant, elle le trouve tenant le bar de sa section. Elle tente de le signaler à Laurence Cohen, sénatrice PCF du Val-de-Marne, qui est au courant de l’affaire, pour que la sécurité le fasse sortir. Sans succès, selon plusieurs témoins que nous avons interrogés : c’est Alice qui est exclue du festival et accusée d’avoir utilisé son poste à l’accueil-sécurité pour organiser une « chasse à l’homme ».

Quelque temps après la Fête de 2019, la plainte d’Alice a été classée sans suite, après une enquête. « Sauf que je ne voulais pas porter plainte, le PCF a porté plainte pour moi », explique la jeune femme. « J’étais traumatisée, en dépression, incapable d’être cohérente, et pas prête. Maintenant, je ne peux pas porter plainte à nouveau. » Le militant demande sa réintégration, qu’il obtient, avec une promotion.

« On n’a pas 40 solutions face à un classement sans suite », avance Hélène Bidard, conseillère PCF de Paris, à l’origine du rapport qui a mené à la création du dispositif « Tolérance zéro ». « L’enjeu reste de s’assurer qu’il n’y ait pas de récidive, et que les victimes puissent rester militer. » Ce qui n’est pas le cas d’Alice, qui a fini par quitter l’organisation.

Des agresseurs bien protégés

Avec « Tolérance zéro », le PCF veut suivre les itinérances entre départements, du MJCF au PCF, et même dans d’autres organisations, car, selon la conseillère de Paris, « ces profils organisent leur itinérance pour échapper aux exclusions et veulent très souvent accéder à des positions de domination ».

Beaucoup questionnent l’efficacité de ce suivi : peu d’exclusions ont eu lieu depuis la vague de témoignages en 2018 et la création de la cellule « Stop violences » en 2019. Alice n’a pas réussi à contacter le dispositif. « Je ne connais personne pour qui ça a été utile », résume-t-elle. Les critiques portent aussi sur le « système PCF », milieu d’hommes, « une bande de potes où les hommes se protègent et se construisent en écrasant les femmes qui parlent », selon un des témoignages recueillis.

Une bande de potes où les hommes se protègent et se construisent en écrasant les femmes qui parlent.

Une grande partie de ceux cités comme des « protecteurs » des agresseurs sont toujours en poste, voire sont montés en grade. Certains sont à la tête du MJCF, siègent au conseil national du PCF, écrivent dans ses journaux ou sont assistants parlementaires au Sénat. Les personnes interrogées dénoncent le rôle de certains cadres plus âgés du parti qui sont décrits comme des rouages actifs de ce système.

L’affaire « Guillaume », jeune militant à l’origine du #MeTooGay qui s’est suicidé après avoir dénoncé un viol qu’il aurait subi par deux cadres du PCF en 2021, revient régulièrement. Les personnes incriminées, Maxime Cochard, conseiller de Paris, et son compagnon, Victor Laby, ont été officiellement mis en retrait du PCF dès le début de l’affaire. Après le suicide de Guillaume, le collectif Paris Queer Antifa (PQA), dont il était membre, se lance dans une campagne intitulée #JusticePourGuillaume, contre laquelle Cochard et Laby contre-attaquent judiciairement, portant notamment plainte pour diffamation.

Mis en retrait, Maxime Cochard saisit toutefois le déontologue de la mairie pour demander une interdiction pour un des proches de Guillaume d’accéder à l’Hôtel de Ville et de terminer son stage auprès de Danielle Simonnet, à l’époque conseillère de Paris. Il n’obtient pas gain de cause mais le stagiaire est convoqué devant le déontologue.

Culture patriarcale, pas unique au PCF

Plus tard, Cochard saisit la commission des conflits du PCF contre les militants du Val-de-Marne, accusés d’avoir placardé des affiches « diffamatoires » à son encontre. La plainte contre X déposée par la famille de Guillaume est classée sans suite en mai 2022, et Cochard est réintégré dans ses fonctions. Mais l’affaire contribue à dégoûter beaucoup de militants.

Le congrès du PCF doit se conclure le 9 avril prochain. Dans les textes mis au vote, la question de l’intégration de « Tolérance Zéro » dans les statuts du parti est « vitale » selon Hélène Bidard, qui déplore le manque de moyens d’action du dispositif, ce qu’elle espère voir changer : « La solution idéale, serait que le dispositif ait lui-même une capacité à suspendre les personnes mises en cause le temps des enquêtes, et que la commission des conflits s’impose les mêmes règles que nous », explique-t-elle. « Les membres du dispositif ne doivent pas intervenir quand on connaît les personnes concernées, pour éviter d’être juge et partie. Ça paraît évident, mais, rien que ça, c’est extrêmement conflictuel, et la commission ne se l’applique pas. »

« C’est une culture profondément patriarcale, mais pas unique au PCF », selon Laure Poisson, qui travaille en études de genre sur les violences sexuelles au PCF et à Renaissance. « Et on observe dans les autres partis les mêmes dynamiques, une reproduction de l’ordre social patriarcal qu’on retrouve dans la société. »

On observe dans les autres partis les mêmes dynamiques, une reproduction de l’ordre social patriarcal.

Elle décrit les dispositifs contre les VSS tels que celui du PCF comme « presque toujours voués à l’échec », car mis en place dans les situations de crise, par des personnes qui fermaient les yeux jusqu’à la libération de la parole. Un cycle dans lequel « les femmes communistes s’épuisent à essayer de sauver les hommes d’un système qu’ils entretiennent et exploitent en pleine conscience », conclut Alice.

Contacté·es, Jeanne Péchon, Léonard Léma et Laurence Cohen n’ont pas donné suite à nos sollicitations à l’heure de la publication. 

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