AESH : « On est trimballées comme des bouche-trous »

La journée de grève lancée par les fédérations de l’éducation de l’intersyndicale, ce 13 juin, sonne le retour du combat des AESH pour améliorer leurs conditions de travail, alors que le gouvernement a annoncé des mesures largement contestées lors de la conférence nationale sur le handicap, fin avril.

Hugo Boursier  • 13 juin 2023 abonné·es
AESH : « On est trimballées comme des bouche-trous »
Des AESH lors d'une manifestation contre le projet de réforme du PIAL, le 19 octobre 2021, à Paris.
© JULIEN DE ROSA / AFP.

Une casserolade en guise d’amuse-bouche. Devant le bâtiment de la direction des services de l’Éducation nationale de Seine-Saint-Denis, mardi 6 juin, une trentaine de personnes sortent leurs ustensiles de cuisine pour se faire entendre. Parmi elles, des enseignants mais aussi des accompagnants d’enfants en situation de handicap (AESH). Le rassemblement, organisé par la CGT et SUD, a lieu le matin de la quatorzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Et il précède aussi la grève du 13 juin, lancée à l’appel des fédérations de l’éducation de six syndicats. Une date importante qui résonne comme le retour de la lutte contre la grande précarité de cette profession exercée par 132 000 salariés, la deuxième plus fournie de l’Éducation nationale après les professeurs.

Les femmes qui occupent en grande majorité ce métier sont celles qui sont pénalisées par la réforme des retraites.

Vers 11 heures, les tambourins démarrent et Sylviane s’en donne à cœur joie. « On n’est pas écoutés, alors, aujourd’hui, on les force à tendre l’oreille », glisse-t-elle face aux quelques curieux qui observent la scène depuis les grandes fenêtres de l’immeuble moderne. C’est la seule AESH de la cité scolaire Jean-Renoir, à Bondy. « Je m’occupe de cinq élèves par semaine pour un collège et un lycée qui en réunissent 1 700. C’est dire le manque de personnel », souffle-t-elle. Sylviane a 55 ans et n’écarte pas l’idée de démissionner de son poste. La faute à « ces conditions de travail qui ne cessent d’empirer et à cette reconnaissance qui ne vient jamais ».

Sur le même sujet : « Nous, AESH, vivons des drames chaque jour »

Payée 1 260 euros net par mois pour 30 heures par semaine, la mère de famille fait partie des AESH qui ont obtenu leur CDI après deux CDD de trois ans renouvelables. Six ans de contrat précaire qui devraient être réduits à partir de septembre, à la suite d’un décret requalifiant les contrats des AESH en CDI après trois ans d’ancienneté. Le résultat d’une lutte victorieuse menée en 2022 par une large intersyndicale. « Ces journées de mobilisation sont ancrées dans le quotidien des AESH depuis quatre ans », explique ­Emmanuel Séchet, secrétaire fédéral de la FSU et responsable de ce dossier pour le syndicat.

Une humiliation de plus

Dans ce contexte, si la mobilisation contre la réforme des retraites a été le centre de gravité des luttes sociales depuis janvier, parfois au détriment d’autres combats plus sectoriels comme celui des AESH, elle a aussi permis de diffuser le caractère essentiel, et précaire, de leur quotidien. « Les femmes qui occupent en grande majorité ce métier sont celles qui sont pénalisées par la réforme des retraites. Elles étaient très nombreuses en manifestation. Et aujourd’hui on les sent combatives, même si l’inflation et les jours de grève ont pu peser dans la balance, décrit le syndicaliste. D’où l’idée d’insister notamment sur la question salariale pour le 13 juin, parce qu’elle n’avance pas. »

Le faible revenu à la fin du mois, Carole* et Katia* peuvent en témoigner. Carole est en CDI depuis 2011, mais elle gagne à peine plus de 1 000 euros par mois. Katia, de son côté, est encore en CDD et est loin du Smic. « On est mal payées, on n’a pas de formation, on n’a pas de statut », énumère Carole, qui, à 52 ans, ne sait pas comment elle pourra tenir jusqu’à 64. Dépitée, elle déplore le décalage entre la place essentielle des AESH dans la société et la manière dont le gouvernement les traite. Et de citer ces pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), lancés en 2018. Ce sont des regroupements d’établissements scolaires qui servent, en théorie, à simplifier la coordination des AESH. « En réalité, on est trimballés comme des bouche-trous », pointe Carole.

Le deuxième motif de colère est arrivé le 26 avril, au terme de la conférence nationale sur le handicap. Emmanuel Macron y a annoncé la fusion du métier d’AESH et celui d’assistant d’éducation (AED) en une nouvelle activité : l’accompagnant à la réussite éducative (ARE). « Sous couvert de lutter contre la précarité de nos deux métiers respectifs, le chef de l’État nous transforme en fourre-tout de l’Éducation nationale », grince Sébastien Cazaubon, AESH engagé dans les Landes et responsable syndical au Snapen.

Le chef de l’État nous transforme en fourre-tout de l’Éducation nationale.

Prévue entre 2024 et 2027, cette transformation est perçue comme une humiliation de plus par les AESH. Elle ne figurait pas dans les mesures proposées par les syndicats, qui, eux, n’étaient même pas invités à la conférence. « On a l’impression qu’on va nous construire une maison sans qu’on nous ait demandé le nombre de personnes qui allaient vivre dedans », regrette Sonia Ahehehinnou, vice-présidente de l’Unapei, la fédération qui regroupe 550 associations œuvrant pour le quotidien des personnes handicapées. Ce mirage de concertation a d’ailleurs poussé les associations du secteur à boycotter l’événement. Un bras de fer avec l’exécutif encouragé par l’attitude offensive et unitaire des centrales syndicales face à Élisabeth Borne sur les retraites. 

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