Deux maîtres du polar

De façon presque simultanée viennent de paraître les derniers livres traduits en français de deux immenses maîtres du genre : Les Jaloux de James Lee Burke et Le Silence de Dennis Lehane.

Sébastien Fontenelle  • 28 juin 2023
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Deux maîtres du polar
Une librairie de Leipzig (Allemagne) en avril 2021.
© JAN WOITAS / dpa-Zentralbild / dpa Picture-Alliance via AFP.

Il y a dans la vie des amateurs de polars – et tout spécialement de polars yankees (1) – des moments de grâce, comme celui où viennent de paraître, presque simultanément, les derniers livres traduits en français de deux immenses maîtres du genre : James Lee Burke et Dennis Lehane.

Les Jaloux, James Lee Burke, (excellemment) traduit de l’américain par Christophe Mercier, Rivages Noir, 427 pages, 24 euros.

Les Jaloux James Lee Burke

Honneur à l’aîné : James Lee Burke, 86 ans, est (2), bien plus qu’un prodige de la littérature policière, l’un des plus grands écrivains de l’histoire des lettres états-uniennes – ce qui n’est pas peu dire. Connu principalement pour les quelque vingt-cinq tomes de sa sensationnelle saga Robicheaux – du nom de son héros louisianais, Dave Robicheaux –, cet éblouissant styliste, inégalé dans l’art de restituer d’infimes fugacités, est aussi l’auteur d’une longue et non moins formidable suite texane, consacrée à la famille Holland. C’est dans cette dernière série que s’inscrit Les Jaloux, renversant roman d’apprentissage (notamment) où le jeune Aaron Holland Broussard découvre à Houston, en 1952, l’amour et la beauté, en même temps que l’impitoyable dureté d’une vie et d’une ville où la cruauté, partout codifiée, structure l’essentiel des rapports sociaux : « Dire que c’était une ville brutale serait loin de la réalité. À l’époque, Houston était la capitale mondiale du meurtre. La violence faisait partie intégrante de la culture, peut-être transmise depuis […] l’extermination systématique des Indiens. »

Le Silence, Dennis Lehane, (excellemment) traduit de l’américain par François Happe, Gallmeister, 445 pages, 25,40 euros.

Le silence Dennis Lehane

Dennis Lehane (57 ans), admirateur de James Lee Burke, est l’auteur de plusieurs livres splendides – on pense par exemple au monumental Un pays à l’aube, paru en 2008 (3). Il fait ici, après une coupure de plusieurs années, ce que son éditeur français présente comme « son grand retour en littérature ». Et l’adjectif est bien choisi, car Le Silence, roman bostonien (4) où une mère d’origine irlandaise, Mary Pat Fennessy, doit chercher seule, en 1974, dans un été brûlant où la déségrégation exacerbe la haine raciale, la vérité sur la disparition de sa fille adolescente, est en effet un (très) grand livre : un splendide portrait de femme, d’abord et avant tout – mais aussi une longue et puissante réflexion sur la violence (communautaire, familiale, policière, raciste, sexiste, sociale) dans laquelle n’entre jamais la moindre facilité, et qui, bien évidemment, parle tout autant, et tout aussi bien, de notre époque.

Disons-le tout net, pour finir : ces deux livres sont difficiles. Mais, malgré tout, de « l’éclat que nous voyons dans les yeux de ceux que nous aimons » (James Lee Burke) aux « joies inespérées » et autres « petits miracles » de la vie (Dennis Lehane), l’espérance, chez leurs auteurs, l’emporte encore sur le désespoir du monde : pouvons-nous demander beaucoup plus ? 


(1) Pourquoi, tu en connais d’autres qui tiennent réellement la distance ?
(2) Je l’ai déjà écrit ici et le répéterai encore.
(3) Chez Rivages Noir.
(4) Comme toujours avec Lehane, qui est par excellence l’écrivain de Boston.

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Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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