De Paris à Venise, des collages féministes contre Polanski, Besson et Allen

Ce week-end, des slogans ont fleuri sur les murs de Paris, Deauville et Venise, visant l’industrie cinématographique. En cause, les choix du festival de Deauville et de la Mostra de Venise en faveur de Luc Besson, Roman Polanski et Woody Allen, tous accusés de violences sexistes et sexuelles. Reportage.

Embarek Foufa  • 4 septembre 2023
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De Paris à Venise, des collages féministes contre Polanski, Besson et Allen
© Tapis Rouge Colère Noire

Alors que Luc Besson était acclamé au Festival de Deauville où il était invité ce week-end pour une rencontre dans le cadre de la sélection de son nouveau film Dogman, un collectif féministe qui réunit cinéastes et technicien.nes du cinéma a mené une action simultanée à Venise, Deauville et Paris dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 septembre. « Le choix de la Mostra de Venise de sélectionner Roman Polanski, Luc Besson et Woody Allen, et le choix de Deauville de sélectionner Luc Besson, sont une validation honteuse de leur impunité. Tandis que leurs pieds fouleront les tapis rouges, c’est tout le système du cinéma, des financeurs aux diffuseurs, qui marchera sur les victimes », indique le collectif féministe Tapis Rouge Colère Noire, dans un communiqué qui s’en prend à l’impunité qui règne pour ces trois cinéastes accusés de violences sexuelles.

Dans les rues parisiennes, trois groupes d’actions de collage se sont mobilisés autour de lieux culturels et de quartiers emblématiques de la capitale, ce samedi. Pendant qu’une partie de leurs camarades sillonnent le quartier Latin, quatre militantes âgées de 25 à 32 ans se sont donné rendez-vous à minuit dans le 20e arrondissement. Objectif : coller les dix phrases qu’elles ont sous la main.

Dès le premier arrêt, un groupe de jeunes hommes perturbe le collage en affirmant que l’action « ne sert à rien ». Un autre passant, intrigué par l’inscription « Polanski 7 accusations », s’arrête, prend en photo et félicite les autrices. Nouveau collage, nouvelle difficulté. Cette fois devant le cinéma MK2 Gambetta. Les militantes de Tapis Rouge Colère Noire en action sont verbalement prises à partie par un homme alcoolisé. Séparer l’homme de l’artiste ? Elles tranchent avec la phrase suivante : « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste », mais le perturbateur resté sur place, visiblement très remonté, perd ses nerfs et arrache avec ses mains une partie du message. Le mal est fait mais les jeunes femmes relativisent : la photo a pu être prise avant.

Collage féministe Polanski Allen Besson
(Photo : Tapis Rouge Colère Noire.)

Pour l’organisation du groupe, trois s’occupent de l’action et la dernière se charge des photos. Une cinquième militante suit le groupe au loin pour assurer leur sécurité. Comme la plupart des militantes du collectif, elles ont rejoint Tapis Rouge Colère Noire par le bouche-à-oreille. « En général, la personne qui en parle sait à qui en parler. La relation de confiance doit être établie avant pour des raisons évidentes », confie Audrey*. Le collage en tant que moyen d’action permet, selon Myriam* qui participe pour la première fois à ce type d’initiative, « d’investir l’espace public en rendant nos slogans visibles ». Et ça marche. À chaque collage, le même refrain. Les passants dans la rue, nombreux un samedi soir, sont attirés. Ils jettent un coup d’œil à l’inscription ou s’arrêtent prendre des photos.

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Les prénoms des militantes ont été modifiés.

Le temps d’un instant, la session collage s’interrompt et laisse place à une session stickers, rapidement sortis d’un sac, au moment où le groupe s’approche d’un arrêt de bus avec une publicité Dior qui met en avant Johnny Depp, accusé de violences conjugales par son ex-compagne, Amber Heard. « Votre violence nous depp » est collé sur le visage du principal intéressé. « Festivals : il vous est possible de cesser d’utiliser de vieux discours prémâchés qui ne servent que vos complaisances et vos compromissions là où vous pourriez servir le cinéma et le progrès social. La division que vous opérez entre l’homme et l’artiste est une fiction », explique le communiqué de presse du collectif publié au lendemain de l’action.

Audrey* âgée de 25 ans, la plus jeune mais la plus expérimentée du groupe en collage, indique : « Je débute dans le milieu du cinéma et je ne veux pas travailler pour une industrie qui invisibilise les rapports de domination qui s’exercent sur les tournages. Pour ces trois-là, ce n’est pas possible de rien faire. On parle d’actes concrets qui ont des effets sur la vie des personnes. » Dans la foulée, elles décident d’inscrire « Besson + Polanski + Allen = 17 accusations » au niveau du belvédère de Belleville. Encore une fois, elles n’échappent pas aux interférences extérieures.

J’avais annoncé qu’on allait se faire embêter sur tous les collages, on est à quatre sur cinq pour l’instant !

Aurélie

Deux jeunes hommes posés à la terrasse du bar d’en face s’empressent de venir poser des questions, teintées de mépris, aux militantes. « Je le connais personnellement Polanski, c’est un bon mec », ironise l’un d’eux. Les quatre protagonistes ne prêtent pas attention et s’en vont une fois le collage terminé. « Cette session correspond à ce que j’avais imaginé », confie Vanessa*. « Mais lui c’était pire qu’une caricature de lui-même et de celui qui va en terrasse, le samedi soir dans le 20e arrondissement de Paris, en disant qu’il est déconstruit. Ce sont les pires », ajoute-t-elle. Quant à Aurélie, elle préfère en sourire : « J’avais annoncé qu’on allait se faire embêter sur tous les collages, on est à quatre sur cinq pour l’instant ! »

Collage féministe Polanski Allen Besson
(Photo : Tapis rouge Colère Noire.)

En réaction aux propos du directeur artistique de la Mostra Alberto Barbera, qui a qualifié les mouvements féministes d’extrémistes et à ceux du directeur du festival de Deauville, Bruno Barde, qui assume la sélection de Luc Besson, Tapis Rouge Colère Noire, riposte : « Non, nous ne sommes pas un tribunal médiatique pas plus que vous ne défendez la justice, nous récupérons simplement une parole publique que vous monopolisez au profit d’un système dont vous tirez parti. » Cette voix est emmenée jusqu’à l’entrée du Campus Belleville du Conservatoire Libre du Cinéma Français.

Déçues en constatant que les murs ne sont pas adaptés au collage, les militantes décident de marquer le coup à quelques jours de la rentrée. Elles collent des stickers sur le panneau devant le portail et sur la boîte aux lettres. Encore une fois, « J’accuse l’homme, j’emmerde l’artiste ». Tapis Rouge Colère Noire conclut son communiqué en invitant le cinéma à s’emparer de nouveaux récits, de toutes parts et en tous lieux. La base, comme l’atteste cette action de riposte, est prête.

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