Quand la Nupes s’accordait

On peine à trouver dans son programme sur l’Union européenne, signé en 2022, des divergences qui justifient de présenter des listes séparées aux européennes.

Michel Soudais  • 13 septembre 2023 abonné·es
Quand la Nupes s’accordait
Le 19 mai 2022, les leaders de la Nupes s’apprêtent à présenter leur programme.
© Thomas SAMSON / AFP

Irréconciliables, les gauches ? Alors qu’il était Premier ministre, Manuel Valls l’avait un jour proclamé. La formule avait connu un succès politique et médiatique considérable. Jusqu’au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron et la création de la Nupes, la Nouvelle union populaire écologique et sociale, le 7 mai 2022. Ce jour-là, réunies en convention nationale, toutes les formations qui la composent (La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts, le Parti socialiste, le Parti communiste et Génération·s) présentent leurs candidats communs aux législatives et le « programme partagé » sur lequel ils ont topé. Pas une petite plateforme en dix ou vingt points, mais un vrai programme de gouvernement en huit chapitres et 650 points.

Le huitième chapitre traite notamment, en quatre pages denses, de l’Union européenne, un sujet considéré depuis des années comme la principale pomme de discorde entre les gauches et les écologistes. Et pourtant, nous confiait Jean-Luc Mélenchon deux mois plus tard, cette question a été « réglée avec une extrême facilité alors que tout le monde nous disait que ce serait le piège dont personne ne ressortirait uni ». Un résultat qu’il attribue à la méthode d’élaboration de ce programme partagé, fondée sur « la déconstruction des désaccords pour en vérifier le contenu » et sa « reconstruction sur une radicalité concrète et faisable ».

D’entrée, les signataires y affirment « l’objectif commun de mettre fin au cours libéral et productiviste de l’UE ». Sans nier que leurs « histoires avec la construction européenne diffèrent » : « LFI et le PCF sont héritiers du non de gauche au Traité constitutionnel européen en 2005, le PS est attaché à la construction européenne et ses acquis, dont il est un acteur clé, et EELV est historiquement favorable à la construction d’une Europe fédérale. » Les seules divergences, listées en fin de chapitre, portent sur le nucléaire, que le PCF veut conserver dans la taxinomie européenne, et le soutien du PS et d’EELV au renforcement de la coopération militaire et la création d’un commandement militaire opérationnel européen. Ce qui ne les empêche pas d’affirmer « ensemble » vouloir « faire bifurquer les politiques européennes vers la justice sociale, l’écologie, le progrès humain et le développement des services publics ».

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S’ensuit une liste de onze propositions comme autant de chantiers à mener pour y parvenir, les objectifs et moyens de chacun étant détaillés : « renforcer la lutte pour le climat » ; « transformer la politique agricole commune » ; « étendre les droits sociaux » ; « garantir un accès universel à la santé » ; « une économie au service du climat et des citoyens » ; « investir en commun dans la bifurcation écologique et solidaire » ; « éradiquer l’évasion fiscale » ; « instaurer des protections sociales et écologiques » ; « accueillir dignement les exilés » ; « conquérir l’égalité » notamment par l’application de la clause de « l’Européenne la plus favorisée » ; « renforcer la démocratie ».

« Il nous faudra être prêts à ne pas respecter certaines règles »

Lucidement, le texte, sur lequel, rappelons-le, toutes les formations de la Nupes se sont entendues, liste ensuite des règles européennes qui constituent, à leurs yeux, des obstacles pour la réalisation de leurs objectifs. Y figurent, dans l’ordre : « les traités de libre-échange » ; « le cadre actuel de concurrence européenne “libre et non faussée” » ; « la politique agricole commune actuelle » ; « le statut de la Banque centrale européenne et les règles d’austérité du semestre européen » ; « la libre circulation des capitaux ». Toutes règles trop souvent approuvées auparavant par les socialistes et des écologistes, qui exigeaient qu’elles soient respectées.

Or, pour « être en capacité d’appliquer pleinement [ce] programme et respecter ainsi le mandat que nous aurons donné les Français », admettent toutes les formations de la Nupes – ce n’est pas la moindre surprise de ce texte –, « il nous faudra être prêts à ne pas respecter certaines règles ». Non sans préciser que cette désobéissance « n’est pas un objectif en soi mais un outil » et « ne peut se faire que dans le respect de l’État de droit ». Il n’est pas question de s’affranchir des règles européennes à la mode hongroise ou polonaise.

Au contraire, les membres de la Nupes comptent « utiliser les marges de manœuvre existantes » (clauses de sauvegarde, dérogations négociées) ainsi que « les contradictions entre les règles européennes et nos engagements internationaux », et « cesser d’appliquer les normes incompatibles avec les engagements écologiques et sociaux contenus dans [leur] programme quand nécessaire ».

Si les signataires évoquaient ensuite les moyens dont pourrait spécifiquement user un gouvernement pour réorienter les politiques européennes, ils envisageaient aussi de déclencher une « mobilisation citoyenne » par des alliances avec des forces partageant leurs objectifs. Et de proposer « d’opérer un choc de démocratie en convoquant une Convention européenne pour la révision et la réécriture des traités européens ». Deux choses qui peuvent fort bien être conduites au sein du Parlement européen.

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