Incendie du commissariat de Rennes : un manifestant dénonce l’acharnement judiciaire

Relaxé en première instance, un militant comparaît ce 6 octobre devant la cour d’appel. Il est accusé d’avoir commandité par mégaphone l’incendie de l’antenne de police. Rien, pourtant, dans le dossier ne prouve son implication.

Nadia Sweeny  • 6 octobre 2023
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Incendie du commissariat de Rennes : un manifestant dénonce l’acharnement judiciaire
La porte incendiée de l'antenne du commissariat de Rennes, le 17 avril 2023, après la validation par le Conseil constitutionnel de la réforme des retraites.
© LOU BENOIST / AFP

Ce vendredi 6 octobre Joseph*, 25 ans, est de nouveau jugé devant la cour d’appel pour « dégradations » et « association de malfaiteur en vue de la préparation d’un crime ». Il avait été relaxé en première instance, aucun élément ne pouvant attester son implication dans l’incendie de l’antenne du commissariat de Rennes. Mais le parquet, bien décidé à trouver un coupable, a interjeté appel.

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Le prénom a été modifié.

Tout se passe le 14 avril 2023, après la validation par le Conseil constitutionnel du projet de réforme des retraites. Partout en France, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour exprimer leur mécontentement face au passage en force de cette réforme, majoritairement rejetée par la population.

À Rennes, la treizième manif de l’intersyndicale démarre à 18 heures et se termine dans le calme à 20 h 30. Puis, des petits groupes se dispersent et rejoignent la seconde manifestation, non déclarée, à l’appel du collectif « La maison du peuple ». « 300 personnes se rejoignent avec une sono », peut-on lire dans le rapport de police sur les évènements de ce soir-là, que Politis a consulté. Les médias sont sur place et le cortège grimpe bientôt à 650 personnes. Des barricades sont érigées. Un magasin de vêtements de luxe est dégradé, une banque, l’office du tourisme et… la porte du commissariat du centre-ville de Rennes est incendiée.

La vidéosurveillance montre qu’il n’était plus là

Sur les images de vidéosurveillance de l’entrée du commissariat visée, dont Politis a pu prendre connaissance, on voit le cortège avancer, lorsque vers 20 h 30 ,un homme installe une poubelle devant le poste de police, rejoint bientôt par d’autres. Un premier petit groupe de personnes cagoulées s’agglutine devant la porte, écrit des inscriptions sur le commissariat caché derrière plusieurs parapluies ouverts. Une quinzaine d’individus « bien organisés » et qui viennent « occulter les faits et gestes de certains d’entre eux » en concluent les services de polices dans leur rapport d’analyse de la vidéosurveillance.

Les enquêteurs se sont rabattus sur la personne la plus facile à identifier lors de la scène.

Joseph

Parmi la foule qui manifeste, un homme porteur d’un mégaphone entouré d’un gilet orange fluo « entre dans le champ de la caméra », lit-on. C’est Joseph. Il est à visage découvert à quelques mètres de la porte du commissariat, mégaphone à la main. « On le voit donner des directives », « il désigne du doigt la façade du commissariat de police », prétendent les policiers. L’individu « crie ses directives », répètent-ils, l’accusant clairement d’avoir « un rôle actif » dans la tentative d’incendie perpétrée par un petit groupe, qui arrive quelques minutes plus tard.

Rennes commissariat
Ce 14 avril 2023, un premier groupe s’agglutine devant la porte du commissariat pour tagguer les murs. Joseph est visible à gauche avec un mégaphone entouré d’un gilet orange fluo. (Photo : DR.)
Quelques minutes plus tard, un deuxième groupe s’affaire pour mettre feu à la porte du commissariat. Joseph n’est plus sur place. (Photo : DR.)

Problème : il n’y a pas de son sur la vidéosurveillance, base des analyses des policiers. Il est donc impossible de savoir ce que dit Joseph dans son mégaphone. Sur les images, on le voit mettre son mégaphone à sa bouche et pointer le commissariat alors que le premier groupe tague les panneaux de bois censé protéger l’enceinte. Puis, Joseph discute tranquillement avec un autre homme et continue d’avancer avec le cortège. Quand le feu est allumé par un autre petit groupe, Joseph n’est déjà plus sur les vidéos. Des badauds s’arrêtent pour regarder et prendre des photos. À aucun moment, Joseph ne participe à l’incendie.

La porte brûlée de l’antenne du commissariat de Rennes. Une vitre protégée par un panneau de bois ayant pris feu, a explosé sous l’effet de la chaleur. (Photo : DR.)

D’animateur à instigateur, selon la police

Mais parmi la foule, c’est l’une des seules personnes identifiables à proximité de ce départ de feu. Les autres sont cagoulées, vêtues de noire et cachées sous des parapluies à la manière de la technique du « black bloc ». Joseph est distinguable par son gilet orange et son mégaphone. « Il est assez évident qu’en dépit d’avoir pu identifier les personnes qui mettent le feu au commissariat, les enquêteurs se sont rabattus sur la personne la plus facile à identifier lors de la scène, quitte à employer des arguments farfelus pour justifier de mon inculpation », dénonce-t-il.

Dans les procès-verbaux des policiers de Rennes en charge de l’enquête ouverte en matière criminelle, le glissement s’opère : Joseph passe du « rôle d’animateur de la manifestation et de meneur avec l’utilisation d’un porte-voix » à celui d’« instigateur » des violences. « Ce n’est pas juste une petite main qui tient un parapluie. Sur la vidéo d’une trentaine de secondes, ce que l’on voit c’est un général, sur un champ de bataille, qui donne ses instructions avec son mégaphone », a même osé le procureur de la République lors de la comparution immédiate de Joseph, usant sans réserve du champ lexical de la guerre. En première instance, il avait requis deux ans de prison ferme avec mandat de dépôt. Pour tenter d’étoffer un dossier vide, le procureur a insisté sur le fait que l’étudiant avait « déjà été condamné pour des faits qui se sont déroulés en manifestation ».

Une théorie qui frise le complotisme

Joseph est accusé par la police d’être un militant actif au sein du groupe Défense collective de Rennes (DEFCO), un collectif anti répression (1). Il est « connu des services de police », notamment pour des dégradations lors d’occupations de son université ou des manifestations contre la loi Travail en 2016, des rébellions également lors du mouvement des gilets jaunes. Joseph a plusieurs affaires en cours. Cela doit-il pour autant le rendre coupable des dégradations qui ont lieu dans une manifestation à laquelle il participe ? Il semblerait.

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Article mis à jour le 6 octobre 2023.

Le 6 avril 2023, le jeune homme a été condamné pour un jet de projectile sur les forces de l’ordre, qu’il conteste. Il aurait dû être interdit de manifester à Rennes, mais son appel a suspendu cette décision ce qui lui a permis d’être présent en toute légalité ce 14 avril, contrairement à deux autres personnes identifiées par la police comme deux « leaders » du groupe DEFCO. Le policier qui interroge Joseph lors de sa garde à vue, en conclut que « cela démontre parfaitement [son] implication » et sa volonté de « coordonner et d’ordonner » les autres membres du collectif. Le fait de contester une décision de justice serait donc une stratégie militante afin d’occuper la place de « donneur d’ordre ». Une théorie qui frise le complotisme fondée sur aucun élément concret.

En première instance, Joseph a été relaxé pour l’incendie du commissariat. Les magistrats ont reconnu qu’en l’absence d’éléments sonores sur la vidéosurveillance, de nombreuses interprétations pouvaient être données aux gestes de Joseph. De plus, aucun témoignage, notamment des nombreux commerçants à proximité, ne fait état d’une personne donnant de quelconques directives. Un camouflet pour le parquet qui fait immédiatement appel de la décision.

« Une telle jurisprudence aurait des conséquences désastreuses »

« À part la dimension politique, je ne comprends pas l’appel du parquet, s’étonne Maître Delphine Caro, l’avocate de Joseph. C’est un dossier qui présente une certaine sensibilité du fait qu’il s’agit de dégradations visant l’antenne du commissariat de Rennes. Je pense que pour le parquet, quelle que soit la solidité du dossier, il n’était pas entendable de ne pas utiliser toutes les voies de recours ». Surtout que la 12e chambre de la cour d’appel de Rennes – qui juge les affaires en appel de comparution immédiate– est réputée dure. Y siège un magistrat déjà épinglé  pour la systématicité des mandats de dépôts à l’encontre de manifestants opposés à la loi Travail en 2016 quand Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, exigeait à Rennes une « fermeté totale ».

À part la dimension politique, je ne comprends pas l’appel du parquet.

Delphine Caro, avocate

Quatre étudiants sans casier avaient pris un à trois mois de prison ferme pour des autocollants apposés sur des tables de terrasse de la sandwicherie Bagelstein de Rennes. Joseph était de ceux-là. C’est une instance, encore composée de ce magistrat, qui l’a condamné pour le jet de projectiles de 2016, alors qu’il apportait des éléments nouveaux qui tendraient à prouver l’impossibilité de sa présence sur place au moment de l’infraction. Le militant y voit une forme d’acharnement contre lui au regard de son engagement militant : pour cette affaire, il s’est pourvu en cassation.

Sur le même sujet : À Niort, un procès des antibassines fourre-tout et sous haute tension

Dans le dossier du 14 avril, Joseph risque jusqu’à dix ans de prison. Il prévient qu’en cas de condamnation « une telle jurisprudence en cour d’appel aurait des conséquences désastreuses sur la liberté de manifester sur tout le territoire français ». S’en prendre aux « porte-parole » rappelle en effet la stratégie judiciaire déjà appliquée à l’encontre des figures du mouvement anti-bassines à Sainte-Soline. En cas de condamnation ce jour, Joseph est déterminé à épuiser ensuite toutes les voies de recours pour prouver son innocence.

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