Gaza : une dernière chance pour le droit international ?

TRIBUNE. Pour les avocats Vincent Brengarth et Henri Thulliez, la justice internationale doit se mobiliser avec la même dextérité qu’en Ukraine sur les plaintes et signalements suscités par le conflit israélo-palestinien. Ne leur apporter aucune réponse nourrit les extrémismes, avertissent-ils.

Henri Thulliez  et  Vincent Brengarth  • 17 novembre 2023
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Gaza : une dernière chance pour le droit international ?
Évacuation d’une jeune fille blessée après un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 17 novembre.
© Saïd Khatib / AFP

« Nous avons besoin d’un cessez-le-feu humanitaire immédiat. Cela fait 30 jours. Trop c’est trop. Cela doit cesser maintenant », déclaraient le 6 novembre les chefs des principales agences de l’ONU au sujet de Gaza. Malheureusement, la succession des alertes lancées par diverses organisations internationales reste sans incidence sur la poursuite des représailles par Israël à la suite de l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre. Cette situation, qui se détériore de jour en jour, nous rappelle à nouveau les limites du droit international, censé protéger des valeurs universelles, sanctionner les États coupables et condamner les responsables des crimes internationaux.

La réponse internationale au conflit qui se joue au Proche-Orient se distingue fortement de celle d’une partie de la communauté internationale vis-à-vis du conflit en Ukraine.

Cette impuissance est consubstantielle à un droit dont l’application dépend trop souvent de la loi du plus fort parmi les États qui en sont les premiers sujets. En Palestine, cette paralysie se manifeste par l’enracinement des violations des droits humains depuis des décennies et, de manière immédiate, à l’absence de tout effet concret des communications et condamnations, même lorsqu’elles sont fondées sur le droit, ce malgré les déclarations importantes de dirigeants et chefs d’État.

Le constat est d’autant plus cruel que la réponse internationale au conflit qui se joue au Proche-Orient se distingue fortement de celle d’une partie de la communauté internationale vis-à-vis du conflit en Ukraine. Depuis février 2022 et le début de l’invasion russe, la justice internationale est sollicitée comme jamais auparavant : multiplication des enquêtes en Ukraine et à l’étranger en vue de procès devant des juridictions nationales, enquêtes ouvertes par la Cour pénale internationale et mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, discussions entre États pour la création d’un tribunal spécial sur le crime d’agression, saisine par 32 États de la Cour internationale de Justice en vue de faire condamner la Russie pour violation de la convention contre le génocide, etc.

Éviter le « deux poids, deux mesures »

Le droit international sera-t-il mobilisé avec la même dextérité s’agissant du conflit au Proche Orient ?  Peut-on envisager dans un futur proche la diffusion de mandats d’arrêt contre des responsables du Hamas ou de l’État hébreu ?

Depuis des années, toute tentative d’utiliser la Cour pénale internationale ou d’autres mécanismes judiciaires – comme la compétence universelle – contre des responsables israéliens a été vaine.

En 2015, la Palestine a ratifié le Statut de Rome et en 2021 une enquête officielle a été ouverte par la procureure de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda, juste avant que cette dernière ne cède sa place à Karim Khan. À propos du conflit actuel, celui-ci a indiqué, dans une tribune toute récente, que « lorsque les preuves que nous recueillons seront susceptibles d’aboutir à une condamnation, je n’hésiterai pas à agir conformément à mon mandat ».

Il est indispensable de qualifier les agissements en cours à Gaza, alors que sont susceptibles de se cumuler diverses incriminations comme celle du génocide, du crime de guerre…

Cette position est encourageante, voire courageuse. Il est indéniable que les sanctions adoptées par l’Administration américaine de Donald Trump contre Mme Bensouda et d’autres membres de la CPI après que la juridiction internationale a ouvert une enquête sur les crimes commis en Afghanistan agissent comme une épée de Damoclès contre les procureurs internationaux qui souhaiteraient s’intéresser aux potentiels abus commis par les États-Unis ou ses plus proches alliés.

Est-ce à dire que seuls les États-Unis peuvent définir le droit international et décider de l’appliquer ?

C’est ce que semble suggérer dans une interview pour The Dial, Itamar Mann, professeur de droit international public à l’Université d’Haïfa : « Normalement, nous pensons que les lois de la guerre et le droit humanitaire international sont appliqués horizontalement par de nombreuses parties qui acceptent toutes les règles comme contraignantes […]. Ici, il s’agit essentiellement d’une relation verticale entre M. Biden et M. Netanyahou, Israël étant un État client de la manière la plus simple et la plus évidente qui soit. […] Ce n’est pas vraiment ce dont nous parlons lorsque nous parlons de droit ».

Dans ces circonstances, faut-il tout de même faire appel au droit international ?

Atteindre une parfaite efficacité

Bien sûr, il est indispensable de qualifier les agissements en cours à Gaza, alors que sont susceptibles de se cumuler diverses incriminations comme celle du génocide, du crime de guerre ou de l’acte terroriste (qui n’est au demeurant pas défini en droit international). Toutefois, ce travail de qualification ne doit pas se résumer à un exercice purement théorique, dont les plaignants accepteraient les limites et anticiperaient l’inaboutissement. Entendons-nous bien, les plaintes et signalements sont indispensables, mais tant qu’ils ne pourront entraîner l’exécution du droit pénal international, ils ne pourront atteindre une parfaite efficacité et être dissuasifs.

La carence de la communauté internationale à faire respecter le droit contribue indirectement à l’antisémitisme

Il est bien certain qu’une telle déficience du droit international ne peut être un facteur de légitimation d’actions terroristes, à l’instar de celles menées le 7 octobre, et servir à attribuer une responsabilité indirecte de la communauté internationale dans ces mêmes attaques. Cette déficience nous encourage néanmoins à repenser la dynamique du droit international afin d’en faire un véritable instrument de coercition. Alors qu’articles et débats se multiplient, à juste titre, sur le conflit israélo-palestinien, ce dernier devrait être l’occasion, alors que les crises se multiplient, d’amorcer un changement profond sur l’application des normes supérieures qui nous lient, et sur notre capacité réelle à en assurer le respect, en dépassant le simple affichage médiatique. Il est également urgent de dépasser le double standard qui fait perdre au monde occidental tant de crédibilité vis-à-vis du « Sud global ».

Rappelons que les politiques d’Israël ont été, et sont condamnées de manière récurrente par la communauté internationale depuis de très nombreuses années sans provoquer de réels changements sur le terrain.

Nul questionnement sur la situation en Israël et en Palestine ne saurait faire abstraction de ces réalités. Si nous ne leur apportons aucune réponse, ce sont aussi les extrémismes que nous nourrissons, comme nous pourrions nourrir un complotisme, par amalgame, notamment à l’égard des populations juives, dont chacun perçoit parfaitement les effets potentiellement mortifères. Même si cela est politico-médiatiquement inacceptable, force est de reconnaître que la carence de la communauté internationale à faire respecter le droit contribue indirectement à l’antisémitisme.

Le marteau du juge international doit s’appliquer, en dehors de toute considération politique et économique.

Le monde, qui fait face à des crises successives, a plus que jamais besoin de renforcer l’unité entre les citoyens et les valeurs qui les lient, dont le droit international, afin d’apaiser tensions et conflits entre les peuples.

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