Est Ensemble se met à l’eau, au grand bénéfice des habitant·es 

Depuis le 1er janvier 2024, neuf communes de l’Est parisien ont divorcé d’avec le Sedif et Veolia pour assurer en régie publique et directe les services de l’eau à leurs habitant·es. Premiers effets : des tarifs en forte baisse.

Patrick Piro  • 8 janvier 2024
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Est Ensemble se met à l’eau, au grand bénéfice des habitant·es 
© Andres Siimon / Unsplash

L’eau moins chère et sans abonnement, des investissements à la hausse pour l’entretien du réseau, des aides supplémentaires pour les personnes en difficulté avec leur facture : le père Noël est passé le 1er janvier, dans les neuf communes d’Est Ensemble, à savoir Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville. Pour les quelque 435 000 habitant·es de cet établissement public territorial (1) de Seine-Saint-Denis (93), les services de l’eau potable et de l’assainissement sont assurés, depuis le début de l’année, par une régie publique, en lieu et place du Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), premier service d’eau en France desservant 4 millions d’usager·es sur 133 communes, et de son délégataire privé Veolia, mastodonte multinational.

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Dénomination propre aux départements de la métropole du Grand Paris, et qui remplace les « communautés d’agglomérations ».

La promesse d’« Eau publique par Est Ensemble », la nouvelle régie, est marquée au coin de l’équité sociale. Première mesure, la suppression de l’abonnement : d’un montant fixe, il pénalise proportionnellement les foyers les moins consommateurs. Or près de 92 % des ménages d’Est Ensemble comptent au plus quatre personnes, et le département est classé le plus pauvre de France métropolitaine. Ensuite, la tarification a été totalement refondue, définies en fonction des principaux usages de l’eau potable. La première tranche de 10 mètres cubes (m3), soit 10 000 litres, est gratuite, correspondant à l’eau « vitale » — boisson et cuisine —, que consomme en moyenne un foyer de six personnes chaque année.

Eau utile, eau superflue

Vient ensuite la consommation d’eau « utile », dont la tarification progresse selon quatre tranches successives, définies par les usages — linge (18 m3), bains et douches (58 m3), vaisselle (15 m3), toilettes (30 m3). Ainsi, pour les 18 m3 de la 2e tranche (« linge »), le mètre cube est facturé 1,1988 €, alors qu’il fallait débourser 1,57 € (en habitat collectif) dès le tout premier mètre cube consommé, sous gestion Sedif. Dans la dernière tranche « utile » (« toilettes »), le mètre cube coûte 1,42 €.

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Et pour l’eau qualifiée de « superflue », soit au-delà de 131 mètres cubes par an pour un foyer de six personnes, le tarif reste inférieur à celui du Sedif. Tous les foyers paieront moins qu’avant et aucun ne sera pénalisé par cette nouvelle tarification, dans cette combinaison de mesures qui n’a pas d’équivalent en France, commentait le 28 novembre Julie Lefebvre, 1re vice-présidente d’Est Ensemble, lors de son adoption par le Conseil de la collectivité.

Autre engagement, le renouvellement des canalisations d’eau, à raison de 1 % du réseau chaque année. « Un tel objectif n’a jamais été atteint sur notre territoire par le Sedif », relève Jean-Claude Oliva. Vice-président d’Est Ensemble et militant pro services publics de l’eau de longue date, il préside la nouvelle régie, dont il a porté le projet depuis le début. « En 2020, le syndicat n’a même financé aucuns travaux. » Trop cher Sedif, à la tarification opaque et inéquitable, et depuis toujours rallié à la gestion par le privé, traduction du choix majoritaire des communes parties prenantes depuis sa naissance il y a cent ans : ça ne convient pas à Est Ensemble, territoire largement dominé par la gauche. Dès sa création, en 2010, il décide, par vote, d’assumer la compétence de l’eau.

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Mais la décision de mise en gestion publique de ce « bien commun essentiel » s’avère un chantier pionnier ardu. Car les communes d’Est Ensemble sont individuellement adhérentes au Sedif. Et ça coince. Notamment parce que Bertrand Kern, maire socialiste de Pantin et alors président de la collectivité, est rétif à la création d’une régie publique. Le chemin semble trop complexe, et les études techniques peu convaincantes. Au bout d’une année d’intense bataille politique interne, décision est finalement prise de faire adhérer Est Ensemble au Sedif.

Coup de fouet

La création du Grand Paris, en 2016, va faire bouger les lignes. La réforme territoriale conjointe attribue de facto la compétence de l’eau aux douze établissements publics territoriaux créés pour l’occasion. Dont Est Ensemble, qui décide cette fois-ci de ne pas reconduire l’adhésion au Sedif, tout comme les territoires Grand-Orly Seine Bièvre et Plaine Commune (2). La porte s’ouvre à nouveau pour la constitution d’une régie publique. Dans l’attente, le territoire signe une convention provisoire avec le syndicat, afin d’assurer le service de l’eau pour le public. Mais là encore, la prérogative des communes exerce sa primauté : Bobigny et Noisy-le-Sec, villes tenues par le centre droit, se désolidarisent du projet et décident de réadhérer au Sedif de leur côté. Les sept autres lancent une mission de préfiguration de la future régie.

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Qui reviendra sur cette décision en 2020.

Le renouvellement du Conseil territorial, qui suit les élections municipales de 2020, donne le coup de fouet qu’il fallait au projet. Patrice Bessac, maire communiste de Montreuil, prend la présidence d’Est Ensemble. Il reconnaît qu’il n’avait pas d’avis arrêté, au départ, sur la pertinence d’une gestion publique. Par ailleurs, les chiffres et éléments communiqués jusqu’alors à la collectivité conduisaient à une conclusion « extrêmement négative » sur l’hypothèse d’une régie publique. Mais il prend la mouche lorsqu’il constate que ces données sont « mal fagotées, disparates, trompeuses voire fausses. C’est quand même un devoir de l’administration que de fournir au politique les moyens de décider en conscience ! »

C’est quand même un devoir de l’administration que de fournir au politique les moyens de décider en conscience ! 

P. Bessac

Patrice Bessac décide alors de créer un groupe de travail avec toutes les parties politiques prenantes de la collectivité, appuyées par une expertise technique comprenant, entre autres, d’anciens cadres des régies publiques de l’eau mises en place à Grenoble, Paris et dans la communauté d’agglomération Les lacs de l’Essonne. La donne change. « Il apparaît alors clairement que de nombreux éléments structurants doivent être réinterrogés et que les hypothèses jusque-là présentées aux élu·es n’avaient été construites que sur la base des conditions posées unilatéralement par le Sedif à la sortie d’Est Ensemble du syndicat », analyse l’association Coordination Eau Île-de-France, dont Jean-Claude Oliva est le directeur.

« On a alors examiné dans les moindres détails les possibilités d’organisation ainsi que les différents postes budgétaires, rapporte Patrice Bessac, et il s’est dégagé une voie possible pour la création d’un bon service de l’eau, doté d’une tarification correspondant à nos convictions, et viable économiquement. Et là, on a foncé. » Le 8 février 2022, la voie est enfin libre pour la création de la régie Eau publique pour Est Ensemble : son conseil valide le compromis de divorce trouvé avec le Sedif, comprenant la répartition du patrimoine (réseau, usines d’eau, réservoirs, etc.) mais aussi, point crucial, un contrat d’achat d’eau en gros au syndicat, au prix fort et pour une durée de 15 ans. Le territoire ne dispose pas, en effet, à ce jour, des infrastructures lui permettant de se passer du Sedif pour son alimentation.

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Cependant, 25 % des besoins d’Est Ensemble seront couverts par un accord de fourniture passé en préliminaire avec la régie Eau de Paris, « à un prix très inférieur à celui du Sedif, souligne Jean-Claude Oliva. Et à terme, moyennant des aménagements, ce partenaire allié pourrait couvrir 40 % de notre consommation. » Et le poids des achats d’eau Sedif devrait régresser à mesure que la politique de la régie portera ses fruits. La rénovation du réseau diminuera les pertes par fuite, « et contrairement à l’objectif d’un opérateur privé, notre intérêt n’est pas de vendre plus, mais d’inciter à économiser la ressource », appuie Patrice Bessac.

La partie n’est pas gagnée

La marge d’ores et déjà dégagée contribue en partie à la baisse des tarifs pour les foyers d’Est Ensemble. Autre source d’économie, la suppression de l’intermédiaire Veolia, qui ponctionne 9 % des produits issus de la vente d’eau via le Sedif. « Et à terme, nous avons d’autant plus intérêt à minorer la part issue du Sedif, indique le président de la régie, car le syndicat a opté pour la coûteuse technologie de traitement d’osmose inverse basse pression que Veolia lui a vendue, et qui pourrait conduire à un doublement du prix d’achat de l’eau en gros, d’ici une dizaine d’années. »

La vision ‘régie publique’ n’est pas portée avec une conviction égale par tout le monde.

J-C. Oliva

Cependant, la partie n’est pas gagnée, car une partie des élu·es du territoire n’est pas convaincue de l’intérêt de se dégager radicalement du Sedif. « L’impact tarifaire de cette osmose inverse basse pression leur semble surestimé, constate Jean-Claude Oliva. Et puis la vision ‘régie publique’ n’est pas portée avec une conviction égale par tout le monde. » Dernier point du compromis de divorce : les villes de Bobigny et Noisy-le-Sec, qui ont basculé à gauche en 2020, sont autorisées par le Sedif à mettre fin à leur adhésion afin de rejoindre la nouvelle régie.

2024 sera une année d’observation, il n’y a pas de nouveauté tarifaire à en attendre, prévient Patrice Bessac. « J’assume une position ultra-prudente, qui se veut juste et économe à la fois. Et attentive, notamment pour les copropriétés et le parc HLM, qui représentent 80 % des logements dans notre collectivité, où il faudra vérifier que la facturation est correctement ventilée par foyer. »

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Société
Publié dans le dossier
Les batailles de l'eau
Temps de lecture : 8 minutes
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