Faire converger agriculture et écologie

La récente mobilisation des agriculteurs a fait céder le gouvernement sur les questions environnementales. Ce qui revient à cacher le vrai problème de l’agriculture aujourd’hui : marchandisation, mise en concurrence et incapacité d’avoir une vision d’ensemble d’un secteur qui relève de nos conditions de vie mêmes.

Aurore Koechlin  • 14 février 2024
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Faire converger agriculture et écologie
Des défenseurs de l'agriculture biologique, lors d'une manifestation devant l'Assemblée nationale, à Paris le 7 février 2024.
© Miguel MEDINA / AFP.

Malgré leurs différences, on a beaucoup fait le parallèle entre le récent mouvement des agriculteurs et le celui des gilets jaunes en 2018. Dans les deux cas, il s’agit d’une mobilisation née contre une taxe sur le carburant, très hétérogène dans sa composition, et qui parvient à créer un rapport de force suffisamment important pour faire reculer le gouvernement en seulement deux semaines. Mais, au-delà de ces différents points, ce qui est peut-être le plus marquant est de constater combien ces deux mouvements sont l’occasion d’une construction en opposition entre, d’un côté, les revendications populaires et, de l’autre, les enjeux environnementaux.

Sur le même sujet : L’agriculture sacrifiée

Cette construction est surtout le fait de la classe politique, avec d’un côté le Rassemblement national, en la personne de Jordan Bardella, qui dénonce une « écologie punitive », de l’autre le gouvernement qui cède avant tout sur les revendications liées à l’écologie – avec entre autres l’abandon de l’augmentation de la taxe sur le gazole non routier et la suspension du plan Écophyto visant à réduire de 50 % l’usage de pesticides d’ici à 2030.

Cette mise en opposition est pourtant factice. Contre le sens commun souvent mobilisé sur le sujet, une enquête sociologique montre une décorrélation entre la conscience écologique des classes populaires et certaines de leurs pratiques, en particulier celles liées au déplacement et au travail, en l’occurrence la voiture, qui s’explique car « l’impératif économique prime sur les valeurs environnementales » (1).

« Conversion écologique vs dépendance automobile. Une analyse des dissonances entre attitudes environnementales et usages de l’automobile auprès de ménages populaires en zone périurbaine et rurale », de Yoann Demoli, Matéo Sorin et Axel Villaereal, Flux, n° 119-120, 2020.

Si l’on suit cette idée, se mobiliser autour d’enjeux liés à l’énergie n’est donc pas la manifestation d’une conscience anti-écologique, mais plutôt le symptôme d’une dégradation des conditions de vie. Sans compter qu’une des causes de la mobilisation est en réalité précisément le désastre écologique dans lequel nous nous trouvons – manque d’eau, sécheresses, mauvaises récoltes, etc. Les mesures gouvernementales, loin d’y répondre, ne vont qu’approfondir la crise.

Sur le même sujet : Et si on faisait entrer l’alimentation dans la Sécurité sociale ?

Comment comprendre cette mise en opposition ? Elle est elle-même de nature essentiellement politique, car une écologie comprise jusqu’au bout ne peut être qu’anticapitaliste. S’en prendre aux enjeux écologiques revient en fait à cacher le vrai problème de l’agriculture aujourd’hui : la marchandisation, la mise en concurrence et l’incapacité d’avoir une vision d’ensemble d’un secteur, l’alimentation, qui comme la santé ne devrait jamais être marchandisé, car il relève de nos conditions de vie mêmes.

Au contraire, il y a donc un besoin urgent de convergence entre agriculture et écologie. Elle commence par l’élaboration de revendications qui lient les différentes préoccupations, par exemple celle d’un service public agroalimentaire qui garantirait les conditions de vie des agriculteurs tout en permettant de développer une agriculture écologique respectueuse de l’environnement, et en définitive de nos vies et de notre avenir.

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