Main dans la main, le gouvernement et la FNSEA tapent encore sur les plus précaires

À la veille du Salon de l’agriculture, le gouvernement a fait de nouvelles annonces pour calmer la colère des agriculteurs. Une nouvelle fois, les salariés agricoles en sont les grands absents. Pire, ils sont la principale cible.

Pierre Jequier-Zalc  • 23 février 2024
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Main dans la main, le gouvernement et la FNSEA tapent encore sur les plus précaires
Arnaud Gaillot, président des Jeunes agriculteurs, et Arnaud Rousseau, président de FNSEA, lors d’une conférence de presse après une réunion de leurs syndicats d’exploitants agricoles avec le Premier ministre, le 13 février 2024.
© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

« On n’a pas été invité. » C’est presque sans colère que Diane Grandchamp nous explique que le syndicat qu’elle représente, la FNAF-CGT, qui défend les salariés du secteur agricole, n’a pas été convié au « grand débat » organisé par l’Élysée pour le Salon de l’agriculture. Pourtant, ce dernier devait permettre à tous les acteurs de se parler et d’évoquer les problématiques – nombreuses – du secteur.

Si la FNSEA se fait désirer, les syndicats représentatifs des ouvriers agricoles, qui représentent plus d’un tiers de la production agricole, ont tout simplement été oubliés. « Ça ne nous étonne même plus. C’est systématique. On dirait qu’il n’y a pas de salariés dans les exploitations agricoles », glisse, désabusée, Diane Grandchamp.

Une main d’œuvre indispensable mais invisibilisée

Il faut bien le constater. Depuis le début de la crise des agriculteurs, les ouvriers agricoles et leurs conditions de travail sont totalement absents des débats. Pire, ils sont parfois décrits comme ces « normes » qu’il faudrait « simplifier » pour améliorer la compétitivité de l’agriculture française.

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Pourtant, depuis plusieurs années, les salariés agricoles sont devenus une main-d’œuvre indispensable pour faire tourner l’agriculture française. Ainsi, entre 2010 et 2020, les salariés permanents non familiaux dans l’agriculture ont augmenté de 10 %, tandis que le nombre d’exploitants ou coexploitants a diminué, sur la même période, de 17,8 %. À eux seuls, ils réalisent donc plus du tiers du volume de travail agricole français.

Mais voilà, face aux très puissants syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA en tête –, leur réalité est invisibilisée. Outre leur non-invitation au Salon de l’agriculture, un autre exemple permet de s’en rendre compte. Alors que la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (branche des jeunes de la FNSEA) ont porte ouverte au ministère de l’Agriculture, et même à Matignon, les courriers de la FNAF-CGT demandant à être reçu par le gouvernement sont restés lettres mortes.

Dans ce cadre, il n’est pas étonnant que, dans les nouvelles annonces du Premier ministre mercredi 21 février, rien ne concerne l’amélioration des conditions de travail de ces travailleurs. Pire, plusieurs annonces les dégradent franchement.

Toujours plus d’exonération de cotisations patronales

En tête, la prolongation des TO-DE, ces contrats de travail qui permettent d’exonérer de cotisations patronales l’embauche de travailleurs saisonniers payés moins de 1,2 smic. Ce niveau a même été augmenté à 1,25 smic après les annonces de Gabriel Attal. Une « simplification » à l’embauche pour la FNSEA et le Premier ministre. Une véritable « trappe à bas salaire » pour les organisations syndicales représentatives du secteur.

Pour rendre l’agriculture attractive, les droits des salariés doivent être améliorés.

Intersyndicale

« Nos organisations sont notamment opposées à la pérennisation des TO-DE, qui met à mal notre système de sécurité sociale et n’est rien d’autre qu’une trappe à bas salaire, alors que les emplois en agriculture sont de plus en plus qualifiés », écrivent-elles dans un communiqué intersyndical rassemblant la CFTC, la CGT, la CFE-CGC et FO.

Les travailleurs saisonniers forment une main d’œuvre déjà largement exploitée. Pourtant, le gouvernement s’y attaque à nouveau en déclarant ce métier « en tension », permettant « d’importer », pour des saisons, de la main d’œuvre étrangère, corvéable à souhait. « Ils veulent profiter d’une main d’œuvre vulnérable et en difficulté pour les surexploiter. C’est clairement de l’esclavage moderne », s’indigne Diane Grandchamp qui craint que ce qu’ont vécu certains travailleurs saisonniers en Champagne, se généralise.

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« La FNSEA a exigé de placer l’agriculture en métiers en tension. Mais pour rendre l’agriculture attractive, les droits des salariés doivent être améliorés », proposent de leur côté les organisations représentatives des travailleurs agricoles. Un avis directement jeté aux oubliettes, donc.

Des dérogations au temps de travail facilitées

Car ce n’est pas terminé. Gabriel Attal a annoncé une autre « simplification » sociale. Faciliter la mise en place de dérogations au temps de travail, en arrêtant le cas par cas actuel qui devait être validé, à chaque fois, par un inspecteur du travail. Le tout pour que certains salariés travaillent donc plus facilement 60, parfois 70 heures, par semaine.

Nos organisations feront barrage à toutes velléités de remise en cause des droits sociaux et normes sociales.

Intersyndicale

Alors que le salariat agricole est extrêmement atomisé et que l’organisation de ces travailleurs n’est pas toujours des plus évidente, cette offensive massive sur leurs droits sociaux est un véritable coup dur. Qui pourrait, encore, aller plus loin. Sentant avoir le vent dans le dos, plusieurs fédérations départementales de la FNSEA – les FDSEA – sont en train de s’attaquer aux conventions collectives locales du secteur garantissant quelques acquis sociaux.

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En effet, depuis 2021, une convention collective nationale a été négociée par les organisations salariales représentatives du secteur avec la FNSEA. Celle-ci intègre un principe : si les conventions locales préexistantes sont plus favorables aux salariés, elles continuent de s’appliquer.

Des acquis sociaux menacés

Depuis la fin 2023, le puissant syndicat d’exploitants s’attaque à cet acquis, dénonçant les conventions collectives locales. Pour l’instant, trois départements sont concernés, l’Ain, le Gard et le Lot-et-Garonne, mais les organisations des salariés s’inquiètent que ce mouvement contre leurs droits sociaux s’intensifie. Dans le Gard, par exemple, cela ferait perdre une prime de treizième mois pour les agents de maîtrise, techniciens et cadres.

Acculés, les syndicats de travailleurs agricoles restent toutefois combatifs. « Si les droits des salariés sont remis en cause, nous saurons prendre nos responsabilités syndicales en conséquence. Nos organisations feront barrage à toutes velléités de remise en cause des droits sociaux et normes sociales », assurent-ils, dans leur communiqué commun. Malgré tout, alors que les exploitants agricoles – notamment les plus puissants – continuent de gagner avantage sur avantage, les salariés, eux, se battent pour simplement préserver les maigres droits acquis au fil des années.

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