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Le nouvel « hebdominical » La Tribune dimanche se voulait l’antidote au Journal du dimanche version Bolloré. À y regarder de plus près, le titre du milliardaire Rodolphe Saadé est pourtant loin d’être un modèle d’équanimité journalistique.

Sébastien Fontenelle  • 3 avril 2024
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© Capture d'écran du site de La Tribune

Au moment du lancement de La Tribune dimanche, rappelons-nous : ce nouvel hebdomadaire dominical – on dira hebdominical pour aller plus vite –, propriété du milliardaire Rodolphe Saadé, nous a été partout présenté comme une espèce d’antidote au Journal du dimanche, après le rachat d’icelui par le très réactionnaire Vincent Bolloré.

Dans la réalité, cependant, La Tribune dimanche n’est pas – du tout – le modèle d’équanimité journalistique et de tempérance – forcément – républicaine qu’on voulait ainsi nous vendre : il s’agit, au contraire, de l’un de ces endroits, et non le moindre, où se fabrique à la chaîne, pour reprendre l’expression fameuse de Noam Chomsky, du consentement à l’odieux ordre capitaliste et droitier du monde, à grands coups, notamment, d’il-faut-réduire-la-dépense-publique, de nous-devons-régler-le-problème-de-l’immigration (existe aussi avec l’islam) et d’attention-à-l’extrême-gauche.

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Ce 31 mars, La Tribune dimanche publie par exemple, sur une pleine page précisément consacrée à « l’extrême gauche », un long portrait d’Andreas Malm, philosophe suédois d’importance, auteur notamment du magnifique Comment saboter un pipeline ?, dont les travaux convergent vers la très pertinente conclusion, parmi d’autres, que si nous voulons sauver la planète, nous n’allons plus du tout pouvoir nous contenter de rester gentil·les et patient·es avec le capitalisme, et qu’il faudrait par conséquent envisager d’autres modes d’action plus directs comme, donc, le sabotage.

Il suffit qu’un·e journaliste mainstream use une fois d’un qualificatif rabaissant pour qu’aussitôt cette médisance soit présentée comme allant de soi.

L’hebdominical du milliardaire Saadé présente ainsi – c’est le titre du long article qui lui est consacré – ce penseur essentiel à la compréhension de l’époque : « Andreas Malm, le ‘gourou’ de l’écologie radicale ». Cette appellation est tout à fait intéressante, car dans notre imaginaire collectif le mot « gourou » renvoie immanquablement à l’univers des sectes, et par conséquent du fanatisme.

Mais d’où vient cette épithète ? Le corps de l’article nous l’apprend : son autrice écrit que « l’intéressé » est « parfois présenté comme un ‘gourou’ pour cette gauche radicalisée ». J’ai bien sûr vérifié, et j’ai trouvé, en tout et pour tout, un papier, publié par l’hebdomadaire de droite L’Express en août 2023, dont le titre présentait lui aussi Malm comme un « gourou ».

Sur le même sujet : Andreas Malm : « Aucune crise climatique ne causera la fin du capitalisme ! »

En somme : il suffit qu’un·e journaliste mainstream use une fois d’un qualificatif rabaissant pour qu’aussitôt cette médisance soit – mensongèrement – présentée comme allant de soi par ses confrères et consœurs. La Tribune dimanche ajoute à cela un petit supplément d’âme, en précisant que Malm « porte une chéchia noire, couvre-chef répandu dans les pays musulmans », qu’il est « un défenseur de la cause palestinienne », et qu’il dénonce « le génocide en cours à Gaza ».

Nous voilà doublement prévenu·es contre ce louche individu : non seulement le gars dirige une secte d’« extrême gauche », mais il se pourrait bien qu’il soit, par surcroît, un peu muslim, voire, qui sait, un peu antisémite. Brrrrr… 

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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