Fraude sociale : un rapport bat en brèche des années de discours stigmatisants

Le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS) a publié son rapport sur la fraude sociale. Ses nombreuses conclusions mettent à mal le mythe des assurés profiteurs du système et la culture du « tout-contrôle ».

Pierre Jequier-Zalc  • 26 septembre 2024 libéré
Fraude sociale : un rapport bat en brèche des années de discours stigmatisants
© Guilherme Cunha / Unsplash.

« La fraude sociale est l’œuvre d’assurés sociaux qui utilisent un modèle social trop protecteur. » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase de la part d’hommes ou de femmes politiques, le plus souvent issus des rangs de la droite et de l’extrême droite ? Un nombre incalculable de fois, tant elle sert leur discours sur l’assistanat et les « profiteurs » du système. Pourtant, le rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS), paru ce mercredi 25 septembre, rompt avec ce mythe.

En effet, l’institution a cherché à évaluer au mieux le phénomène de la fraude sociale, extrêmement complexe, car, selon la fraude, et la branche fraudée, il peut prendre nombre de formes différentes. Leur premier rappel remet d’ailleurs l’église au milieu du village. « L’immense majorité des entreprises, assurés sociaux et des professionnels de santé respectent le ‘contrat social’ de la solidarité nationale. Les fraudeurs restent très minoritaires », peut-on lire en préambule.

La part des assurés, et notamment des titulaires de minima sociaux est faible dans l’ensemble.

HCFIPS

Le HCFIPS a ensuite estimé statistiquement le montant total de la fraude sociale. Et celui-ci, il faut le reconnaître, est assez important. « Au regard des données disponibles, on peut considérer que le manque à gagner généré par la fraude pour la sécurité sociale avoisine 13 milliards d’euros », estime le rapport. Une perte importante, donc, pour les finances publiques, qui reste bien moindre que la fraude fiscale, estimée à entre 60 et 80 milliards d’euros par an.

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Sauf que, quand on se penche sur le détail de ce chiffre, on s’aperçoit qu’une large majorité de cette fraude n’est pas le fait d’assurés sociaux. Ainsi, deux tiers de la fraude sociale est imputé aux entreprises, aux travailleurs indépendants et aux professionnels de santé.

« La part des assurés, et notamment des titulaires de minima sociaux est faible dans l’ensemble », note ainsi le HCFIPS qui souligne que cette « vision consolidée donne donc une image assez différente de celle usuellement mise en avant ». Une remarque qui résonne avec leur préambule où l’institution rappelle que « l’évaluation de la fraude est une nécessité pour apprécier les résultats de la politique anti-fraude.[…] Elle contribue à un débat public objectif, en hiérarchisant les vrais sujets qui ne sont pas nécessairement les sujets les plus médiatiques ». Un tacle à peine dissimulé à ceux qui instrumentalisent les assurés sociaux pour moins s’attaquer aux fraudeurs fiscaux.

Nombreuses questions marginalisées

Ainsi, en allant à l’encontre d’un a priori pourtant largement véhiculé, ce rapport a le mérite de poser de nombreuses questions particulièrement intéressantes, et bien souvent marginalisées dans le débat public. En tête de celle-ci, la question de la sous-traitance en cascade. « En recherchant à optimiser leurs coûts, certains donneurs d’ordre peuvent faire peser une pression financière sur leurs sous-traitants, parfois contraints de baisser leurs tarifs en limitant leurs coûts salariaux – jusqu’à recourir à de la main d’œuvre sous déclarée ou non déclarée, ou, s’agissant des micro-entrepreneurs, à ne déclarer qu’une partie de leur chiffre d’affaires », souligne le rapport.

Ce phénomène est pourtant largement connu de tous les professionnels des secteurs à forte sous-traitance, comme le BTP. Pour autant, les gouvernements successifs ne s’y attaquent que très peu, voire pas du tout. Ce rapport préconise, par exemple, de s’inspirer de la Charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques qui encadrait plus fermement la sous-traitance.

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Outre cette question, la rapport pointe du doigt la fraude issue du monde médico-social, notamment lorsque des missions de service public ont été laissées au secteur privé. « Sans en faire une généralité, le HCFIPS souhaite cependant souligner le risque de l’intervention d’acteurs privés dont l’objectif premier serait la seule optimisation de leur investissement. […] Différents scandales récents, notamment dans le secteur médico-social, soulignent les risques d’abus que ce type de structuration peut générer lorsqu’elle se déploie aux dépens du bien-être des personnes. »

« Le ‘tout-contrôle’ n’est pas pleinement efficace »

Enfin, le rapport du HCFIPS s’intéresse beaucoup à ce qui est mis en place pour lutter contre cette fraude. Comment éviter ces pertes importantes pour les finances publiques ? Et là aussi, ses principales recommandations étonnent. Dans un débat politico-médiatique qui tombe vite dans le tout-répressif, le rapport préconise plutôt de mettre le paquet sur la prévention de la fraude.

« Le ‘tout-contrôle’ n’est pas pleinement efficace : il suppose la mobilisation de ressources humaines dédiées et spécialisées ; il peut être contre productif en termes d’accès aux droits si la peur des contrôles conduit certains assurés à renoncer aux prestations ; il peut créer un sentiment de défiance, pouvant conduire à une grande irritation des assurés au regard du système de protection sociale ; il a un coût symbolique en ce qu’il peut stigmatiser telle ou telle partie de la population (les pauvres, les professionnels de santé…) en méconnaissance des principes de solidarité aux fondements de la protection sociale ».

Pis, ce « tout-contrôle » n’est même pas efficace sur le plan financier. En effet, il est très compliqué de recouvrer les sommes fraudées, notamment pour les entreprises éphémères qui se volatilisent dans la nature aussitôt la fraude effectuée. Ainsi, sur les 13 milliards d’euros de fraude sociale estimée, seulement 2,1 milliards sont détectés et… 600 millions recouvrés. Un chiffre très faible au vu des moyens de plus en plus conséquents mis par l’État pour contrôler. « Nous allons créer mille postes supplémentaires dans le quinquennat pour lutter contre la fraude sociale et investir 1 milliard d’euros dans les systèmes d’information, notamment pour mieux croiser les données », expliquait, par exemple, Gabriel Attal en mars 2023, alors ministre des Comptes publics.

La lutte contre la fraude ne saurait être considérée comme ‘la’ solution aux problèmes financiers de la protection sociale.

HCFIPS

Au vu de ce constat, l’institution conclut : « La lutte contre la fraude ne saurait être considérée comme ‘la’ solution aux problèmes financiers de la protection sociale ; les montants redressés et a fortiori recouvrés sont très en deçà des besoins financiers de la sécurité sociale. En revanche, une action résolue visant à limiter la prévalence de la fraude avant même que la fraude ne soit commise pourrait contribuer au financement du système ».

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Une conclusion qui a fait réagir les partenaires sociaux, comme l’UNSA qui affirme soutenir « fortement les recommandations destinées à passer d’une culture de contrôle et de sanction à une approche de prévention dissuasive dans la lutte contre la fraude ». Une manière, aussi, de mettre la pression sur Michel Barnier qui, au 20 heures de France 2 dimanche 22 septembre, déclarait : « Je voudrais aussi m’attaquer à un sujet qui coûte beaucoup d’argent qui est celui de la fraude fiscale bien sûr, mais aussi de la fraude sociale. »

Il a désormais plusieurs dizaines de recommandations entre les mains. À lui désormais de choisir : continuer dans le tout-contrôle populiste et inefficace ou mettre en place des mesures de fond pour lutter vraiment contre la fraude.

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