Les hommes et le procès de Mazan

Pour l’essayiste afroféministe Fania Noël, avoir une parole sur ce procès hors-normes nécessite une réflexion sérieuse sur le patriarcat et la domination masculine.

Fania Noël  • 23 octobre 2024
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Les hommes et le procès de Mazan
Un homme passe devant un collage d'une phrase prononcée par Gisele Pelicot au procès de Mazan, à Avignon, le 10 octobre 2024.
© Christophe SIMON / AFP

Les fans de la série How to Get Away with Murder se souviennent d’une réplique phare du personnage Nate Lahey : « Les Blancs ramènent toujours la question de la race quand ça les arrange, jamais quand c’est pertinent. » On pourrait dire la même chose de la figure du violeur, brandie comme un étendard par les « nice guys » lorsqu’il s’agit du spectre de l’inconnu dans une ruelle sombre, mais jamais lorsqu’il s’agit de se confronter à la réalité des chiffres : la vaste majorité des victimes connaissent leurs agresseurs, et ces derniers considèrent souvent que ce n’était pas un viol.

Dans un moment où parler du viol est particulièrement pertinent, Julia Tissier pose la question dans « ChEEk » (sur le site des Inrockuptibles) : « Procès de Mazan : les hommes doivent-ils l’ouvrir ou la fermer ? ». Un article qui pose une question importante dans le contexte de ce procès hors norme pour des faits de viol, qui sont pourtant consubstantiels du patriarcat.

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S’il y a silence, c’est parce que le « nice guy™ » et le patriarcat (dans sa version conservatrice ou libérale) présentent toujours le couple, et plus encore le mariage, comme une protection. Il est difficile d’aborder ce sujet de manière pertinente lorsqu’il n’y a pas déjà eu une réflexion sérieuse sur le patriarcat et la domination masculine. On en voit les limites dans les discours autour de la culture du viol, de la masculinité toxique et du consentement.

Poser la question ainsi présuppose deux lignes féministes qui semblent contradictoires : celle qui demande aux hommes d’afficher un pro-féminisme et de faire le travail d’éducation de leurs pairs, et celle qui considère que les hommes devraient laisser la place aux premières concernées, dans un contexte où la parole des hommes efface souvent celle des femmes, ainsi que leur expertise. La question qui m’intéresse est : qu’est-ce que les hommes ont à dire de pertinent dans un contexte où les prises de position faciles sont à la portée de tou·tes ?

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Comme je l’ai analysé dans mon dernier livre, Dix questions sur les féminismes Noirs (Libertalia), la victime « morte à l’intérieur » et « l’homme sauveur » sont deux archétypes codépendants du patriarcat. Sans surprise, le second archétype est celui qui a été mobilisé le plus souvent dans les commentaires sur l’affaire Mazan, avec de nombreuses références aux représailles physiques que mériteraient les accusés.

En tant qu’afroféministe, ce que j’aurais apprécié venant des hommes qui ont une parole publique, ce n’est pas d’apporter des « réponses » à des questions déjà couvertes par des décennies de militantisme et de théories féministes, mais de montrer une compréhension de l’articulation, au-delà de l’approche superficielle du consentement, de la monstruosité du viol et de deux ou trois citations de Simone de Beauvoir. Pour citer Dewey, un autre personnage de série télévisée (« Malcom ») : « Même si je ne m’attendais à rien, je suis quand même déçu. »

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