« Israël est passé d’une ethnocratie à une dictature fasciste »
Le député communiste de la Knesset Ofer Cassif revient sur l’annexion de la Cisjordanie, le génocide à Gaza et l’évolution de la société israélienne.
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© Nicolas Cortes
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En Cisjordanie occupée, la crainte d’une « nouvelle Nakba » L’État binational, une idée juiveOfer Cassif est député israélien depuis 2019, élu sur la liste Hadash-Taal, alliance de deux partis de gauche. Il est l’une des voix les plus radicales et critique de l’action du gouvernement Netanyahou. Pour cela, il a été banni six mois de la Knesset, le Parlement israélien.
Avec l’accélération de la colonisation, la solution à deux États semble de plus en plus compromise. Faut-il aller vers un État binational selon vous ?
Ofer Cassif : Je suis sûr qu’un jour, il y aura un État palestinien, mais quand ? Et combien de personnes vont devoir en payer le prix ? Le gouvernement de Netanyahou utilise la rage, la peine et la colère des Israéliens depuis le 7-Octobre. En réalité, il ne veut pas la sécurité de l’État d’Israël mais uniquement l’aboutissement du projet génocidaire porté par Smotrich et Ben-Gvir. Pour ce qui est d’un État binational, c’est irréaliste.
Vous ne pouvez pas former un État commun après plus d’un siècle d’hostilités.
Je n’ai pas d’objections de principe contre, mais vous ne pouvez pas former un État commun – je préfère ce terme – après plus d’un siècle d’hostilités. À mon sens, il faudrait d’abord un État palestinien indépendant aux côtés de l’État d’Israël avant de se poser la question d’un État commun. Mais il est trop tôt, bien sûr, nous sommes encore loin des deux possibilités. Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de reconnaître bientôt un État palestinien. C’est une bonne chose, mais pour que cela ait un réel poids, il faut désormais qu’il soit suivi par d’autres pays.
Que pensez-vous de la situation actuelle en Cisjordanie occupée et à Gaza ?
Depuis 1967, j’ai toujours lutté contre l’occupation et souhaité l’établissement d’un État palestinien indépendant sur tout le territoire qu’Israël occupe depuis : la bande de Gaza, la Cisjordanie occupée et Jérusalem-Est. Il nous faut aussi nous battre au sein même d’Israël contre la discrimination systématique de la minorité palestinienne et contre le racisme, qui touche en premier lieu cette minorité. Il faut rappeler que 21 % des personnes en Israël sont des Palestiniens.
Ils sont discriminés au quotidien, comme le prévoit d’ailleurs la Constitution. Après les actes du 7-Octobre, que nous condamnons sans équivoque, qui nous dégoûtent, nous avons commencé à lutter contre le génocide à Gaza, le nettoyage ethnique et l’occupation en Cisjordanie. Nous sommes sûrement la seule force au sein de la Knesset à nous y être opposés. Nous demandons la fin immédiate de la guerre à Gaza, la libération de tous les otages et de tous les prisonniers palestiniens.
Comment la société israélienne a-t-elle évolué depuis le 7-Octobre ? Que pense-t-elle de la colonisation ?
Malheureusement, le gouvernement fasciste et raciste a manipulé ces crimes commis par le Hamas pour pousser la population à accepter l’annihilation du peuple palestinien. Voire, comme Bezalel Smotrich, ministre des Finances, ou Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, à carrément soutenir l’extermination des Palestiniens de Gaza ou même de la Cisjordanie occupée. Mais, à côté de cela, de plus en plus d’Israéliens s’opposent à la continuation du génocide à Gaza, même si, soyons honnêtes, la majorité le fait pour le retour des otages tout en se souciant peu du sort des Palestiniens.
La répression touche aussi les personnes qui s’opposent au gouvernement.
De fait, il y a une polarisation entre les personnes qui ont le cerveau complètement retourné par ce gouvernement fasciste et les autres qui s’opposent à la poursuite de ce génocide. Je pense que nous sommes au bord d’une possible guerre civile. Et c’est un véritable danger, car le gouvernement d’Israël n’est pas seulement coupable de génocide à Gaza et de nettoyage ethnique en Cisjordanie occupée, il transforme aussi Israël en une totale dictature fasciste. La répression ne touche pas uniquement celles et ceux qui s’opposent au génocide, elle touche aussi les personnes qui s’opposent au gouvernement.
Vous-même avez été expulsé de la Knesset. Pourquoi ?
Fin 2023, il y a eu une pétition lancée par des citoyens israéliens pour soutenir l’appel de l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice contre l’attaque à Gaza. Le pays demandait l’ouverture d’une enquête pour génocide. J’ai rejoint cette pétition, mais la Knesset a tenté de m’en empêcher. Ce n’est pas simplement mon droit de m’élever contre ce génocide mais mon obligation morale. Mon rôle en tant que député, élu pour les valeurs socialistes et démocratiques que je défends, c’est de m’opposer à ces crimes.
Ils ont échoué à me bannir une première fois, il leur manquait 4 voix pour atteindre les 90 nécessaires pour m’exclure de la Knesset. Alors ils ont transformé cela en accusation éthique. Le comité d’éthique a décidé de me suspendre six mois, mais j’ai continué à parler de ce qu’il se passe. C’est cela la démocratie, la défense du bien commun. À travers moi, cette décision visait aussi à faire toutes les voix alternatives.
On dit souvent qu’Israël est la seule démocratie de la région. Est-elle encore totalement une démocratie ?
Un jour où l’on demandait à Mahatma Gandhi ce qu’il pensait de la civilisation britannique, il a répondu : « C’est une merveilleuse idée. » Je pourrais répondre exactement la même chose à propos de la démocratie israélienne. Israël n’a jamais été une démocratie. Elle a en revanche toujours été une ethnocratie. Car aux côtés des droits civiques les plus élémentaires dont la plupart des citoyens bénéficient – en dehors bien sûr des territoires occupés –, il reste l’idée, institutionnalisée, de la suprématie juive.
Israël est déjà dans une forme de dictature fasciste tournée définitivement contre les Palestiniens.
Depuis le 7-Octobre, il y a une accélération du changement politique pour transformer cette ethnocratie en dictature fasciste. Bien sûr, ce n’est pas une de ces dictatures du XXe siècle, mais davantage comme l’Inde de Modi, le Brésil de Bolsonaro, la Turquie d’Erdogan ou même l’Amérique de Trump. Mais Israël est déjà dans une forme de dictature fasciste tournée définitivement contre les Palestiniens.
Pourquoi Masafer Yatta, le village de Cisjordanie rendu célèbre par le film oscarisé No Other Land, est-il un symbole du travail mené main dans la main des colons et de l’armée ?
En premier lieu, ses habitants font face quotidiennement à la violence de l’armée et des colons. Ils doivent se battre tous les jours pour simplement avoir le droit de produire de l’électricité pour les maisons et les grottes dans lesquelles ils sont obligés de se réfugier. Ces gens sont les plus pauvres, les plus fragiles, les plus persécutés. Ils sont ciblés par des tirs, leurs terres sont confisquées, ils sont vicieusement attaqués par des colons qui vont jusque dans leurs maisons.
Et tout ça, sous le regard bienveillant de l’armée et de ce gouvernement fasciste. Même la Cour suprême d’Israël, qui a la réputation d’être libérale et démocratique – ce qu’elle n’est pas –, a déclaré cette zone comme zone militaire. Elle a finalement ratifié la volonté de nettoyage ethnique du gouvernement. On parle de milliers de personnes. Je salue les habitants qui se battent là-bas, ils sont courageux, ce sont des héros.
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