Macron et l’État palestinien : et après, quoi ?
L’initiative du président de la République est symbolique mais positive. Elle suppose néanmoins un changement radical de politique au Proche-Orient : convaincre les principaux partenaires européens que des mesures de rétorsion contre Israël sont indispensables.
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© Michel Euler / POOL / AFP
On dit qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. La reconnaissance de l’État de Palestine à laquelle la France devrait procéder au mois de juin, si Emmanuel Macron est fidèle à son engagement, est évidemment positive. Elle est certes purement symbolique. Mais symbolique ne veut pas dire anodin. C’est un message clair de désaveu à Netanyahou et à Trump, l’un occupé à massacrer, l’autre échafaudant ses projets immobiliers sur les ruines et les cadavres. C’est aussi une façon d’exprimer son soutien au plan égypto-saoudien de reconstruction et de réorganisation de Gaza et, au-delà, une adhésion franche à la démarche des pays arabes en faveur d’une solution politique globale. Mais le discours du président français souffre de beaucoup de faiblesses.
C’est en tremblant qu’Emmanuel Macron agit.
Entre l’acte symbolique et la réalité, ce n’est pas un fossé, c’est un gouffre. Pendant que Macron promet une conférence au mois de juin à New York sous l’égide de l’ONU, on meurt à Gaza tous les jours. Quelque 1 400 Gazaouis ont péri depuis la rupture de la trêve par Israël le 18 mars. Les bombes ne suffisant plus, Israël organise la famine, l’empoisonnement par la privation d’eau potable, la destruction des derniers hôpitaux encore debout, tandis que pourrissent à la frontière égyptienne des tonnes de denrées dans des camions affrétés par l’Union européenne et les pays arabes. Un gouffre, disais-je, que la France, les pays européens et les États-Unis de Joe Biden ont laissé se creuser pendant dix-huit mois, depuis le sinistre 7 octobre 2023. Et, en réalité, depuis bien plus longtemps.
Peut-on espérer que Macron rompe avec ce passé qui contredit l’acte de reconnaissance ? Ce serait faire preuve de beaucoup de naïveté. C’est en tremblant qu’Emmanuel Macron agit. Il s’empresse de donner des gages à Israël, imposant des contreparties aux pays arabes, et peut-être même à l’Iran. À sa façon, il se fait le promoteur des accords d’Abraham, exigeant une reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite. Ira-t-il jusqu’à conditionner son geste à un geste symétrique de l’Iran ? Une tâche impossible qui préparerait une reculade de la France. Mais il y a plus fâcheux.
L’acte symbolique auquel se prépare Macron ne fait pas peur à Israël.
Depuis 2007 et l’entrée à l’Élysée de Nicolas Sarkozy, la France fonce tête baissée dans le soutien à Israël : pas un geste pour freiner la colonisation de la Cisjordanie, et une répression accrue des mobilisations en faveur des droits des Palestiniens. Une politique que Hollande et Macron ont poursuivie et accentuée. Deux décennies qui ont contribué à rendre impraticable la solution à deux États. Aujourd’hui, avec ce bilan peu flatteur, la France serait seulement le 149e État à reconnaître la Palestine, et le 5e en Europe depuis le 7-Octobre, après l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie, qui peuvent, eux, se prévaloir d’une certaine cohérence.
Emmanuel Macron espère-t-il entraîner dans son sillage d’autres puissances, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni ? Peu probable. L’Europe, capable tant bien que mal de s’unir contre la Russie, est divisée quand il s’agit de sanctionner Israël, dont les crimes ne sont pas moins terribles que ceux de Poutine. C’est le tristement fameux double standard dont la France est très responsable. Pour toutes ces raisons, l’acte symbolique auquel se prépare Macron ne fait pas peur à Israël. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, a immédiatement sorti l’artillerie lourde : « Une récompense pour la terreur et un coup de pouce au Hamas », a-t-il commenté. Macron terroriste ! Macron complice du Hamas !
Il faudra convaincre les principaux partenaires européens que des mesures de rétorsion sont indispensables.
Rien n’est trop gros quand on est sûr que le président français n’ira pas plus loin. Celui-ci va certes appuyer le plan arabe qui prévoit l’installation à Gaza d’une administration palestinienne intérimaire, excluant le Hamas, et préparant une relégitimation de l’Autorité palestinienne. Par le verbe, cela ressemble à une évidence. Mais, dans les faits, le premier ministre israélien a mis tant d’années à ruiner l’Autorité palestinienne issue de feu des accords d’Oslo qu’il ne va pas la ressusciter au moment où il croit l’appropriation totale et définitive des territoires palestiniens à portée de main. S’il veut que son initiative ait un sens, il faudra que le président français n’en reste pas là. Il lui faudra convaincre ses principaux partenaires européens que des mesures de rétorsion sont indispensables. Il lui faudra un changement radical dans son approche du conflit. Être plus « espagnol » et « irlandais ». Qui peut y croire ?
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