5,3 milliards d’euros : l’inquiétant pactole de Vincent Bolloré

Dans un rapport, Attac et l’Observatoire des multinationales décortiquent le « système Bolloré », expliquant comment le milliardaire, dans l’indifférence, voire avec le soutien, des pouvoirs publics, a acquis son empire médiatique. Et s’inquiètent d’une trésorerie largement positive qui laisse craindre le pire.

Pierre Jequier-Zalc  • 25 avril 2025 abonné·es
5,3 milliards d’euros : l’inquiétant pactole de Vincent Bolloré
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Jusqu’où ira Vincent Bolloré ? La croisade politique du milliardaire, en faveur de l’extrême droite et de ses idées, semble ne pas avoir de limites. Et le rapport, publié jeudi 24 avril par Attac et l’Observatoire des multinationales, n’a pas de quoi rassurer. Intitulé Le système Bolloré, de la prédation financière à la croisade politique, il s’attaque à établir, précisément, la manière dont Vincent Bolloré a réussi à créer un empire médiatique et de communication à la force de frappe sans équivalent en France.

Comme bien souvent, les faits sont têtus. Et quand on les scrute, attentivement, les mythes qui entourent le milliardaire s’effondrent un par un. Un entrepreneur breton, attaché à son terroir et son territoire ? Pas vraiment. Si, en 2022, Vincent Bolloré a bien fêté les 200 ans d’existence de l’entreprise familiale en costumes traditionnels bretons, cela fait bien longtemps que Bolloré SE n’a de breton que ses origines.

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« Quand il hérite en 1981 avec son frère Michel-Yves de la direction de l’entreprise papetière familiale, spécialiste du papier bible et du papier à cigarettes, Vincent Bolloré – qui est né et a passé toute sa vie à Paris – a déjà commencé sa carrière dans la haute banque. Il fait de la société qu’il contrôle désormais un tremplin pour des opérations financières et spéculatives et pour la conquête d’un empire économique qui déploie ses activités aux quatre coins du globe. Les activités de papeterie sont petit à petit abandonnées », écrivent ainsi les auteurs du rapport.

Vincent Bolloré opère à la manière de ces fonds qui investissent dans l’économie réelle dans une optique purement financière.

Le Finistère n’est plus que l’image. La réalité, elle, se construit entre le Luxembourg, où de nombreuses filiales du groupe Bolloré sont localisées, et l’Afrique. C’est, en effet, sur ce continent que le milliardaire d’extrême droite a construit une bonne part de son immense fortune. « Dans la production de tabac et de cigarettes d’abord, puis dans les plantations d’hévéas et de palmiers à huile, et surtout dans le transport, la logistique et la gestion des concessions portuaires », égrène l’étude d’Attac et de l’Observatoire des multinationales.

Un « chevalier de la finance »

Autant de filières, sans guère de rapport les unes avec les autres, qui témoignent  non pas d’un industriel compétent, mais d’un financier vorace. Car si Vincent Bolloré a bien une qualité, c’est certainement sa manière de jouer avec ses actifs financiers au gré des opportunités, sans aucune considération sociale ou écologique.

« C’est un ‘chevalier de la finance’ tout droit sorti des années 1980 », note le rapport, qui poursuit : « Vincent Bolloré opère à la manière de ces fonds qui investissent dans l’économie réelle dans une optique purement financière, dans le but de dégager des profits et des plus-values à la revente, en jouant avec les entreprises et les emplois comme des variables d’ajustement qui peuvent être abandonnées du jour au lendemain ».

ZOOM : Des pouvoirs publics « complices »

Comment un tel empire dans le secteur de la communication a-t-il pu advenir sans que les pouvoirs publics tentent d’endiguer cette croissance ? Toute la fin du rapport d’Attac et de l’Observatoire des multinationales est consacrée à cette question. Et le tableau présenté est accablant. À la fois dans l’entremêlement de relations sociales entre les dirigeants du groupe Bolloré et les hautes sphères politiques – jusqu’à la présidence de la République – de tous les bords politiques (de l’extrême droite au Parti socialiste). Mais aussi par la succession d’aides publiques accordée aux différentes entreprises du groupe, voire par une mansuétude coupable des pouvoirs publics à l’égard des entreprises Bolloré.

Un exemple : « Le Canard enchaîné a récemment révélé que l’administration de Bercy avait conclu à une ‘erreur délibérée’ de Vivendi dans la gestion de titres de Vivendi Universal Entertainment, avec pour résultat d’économiser 800 millions d’impôt sur les sociétés. Théoriquement, une amende correspondant à 40 % de ce montant, soit 320 millions d’euros, aurait dû s’appliquer, sauf que Bercy semble avoir décidé de renoncer à cette majoration. » Une illustration parmi d’autres du soutien dont l’empire Bolloré bénéficie largement dans les hautes sphères de l’État qui, au lieu d’y voir un danger politique majeur, mettent en avant un « succès économique » qui ferait la fierté de la France à l’international. Une réussite financière qui pourrait, surtout, permettre à l’extrême droite d’arriver au pouvoir.

P.J.-Z

Mais voilà, le milliardaire n’est pas un simple financier sans foi ni loi avec comme seul intérêt celui de l’argent. C’est surtout une personnalité qui mène depuis plusieurs années désormais une croisade idéologique centrée sur des valeurs et des idées profondément d’extrême droite. Et cela passe par l’acquisition de bon nombre d’entreprises des secteurs médiatique, de la communication et de la culture.

Cet empire est devenu, depuis 2023, la très grande majorité de l’activité du groupe Bolloré. En effet, celui-ci a décidé de céder la quasi-totalité de ses autres branches. En tête de ce virage, la vente des activités portuaires et logistiques qui, en 2021, représentaient encore 47 % des effectifs du groupe. Deux ans plus tard, le secteur de la communication au sens large représente 95 % des effectifs et près de 80 % du chiffre d’affaires du groupe Bolloré.

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Les titres phares de cet empire sont largement connus : Canal+, dont CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche avec, en plus, la récente création du JDNews. Mais, « si ce sont surtout les participations de Bolloré dans les médias et dans une moindre mesure dans l’édition qui retiennent l’attention, l’empire qu’il s’est bâti va bien au-delà », souligne le rapport, qui présente une cartographie détaillée – mais non exhaustive – des activités du groupe Bolloré aujourd’hui.

Et la toile d’araignée que le milliardaire a tissée fait plus que frémir. Outre les têtes de gondole citées précédemment, il possède d’autres nombreuses activités dans l’édition (Fayard, Larousse…), dans le jeu vidéo (Gameloft), dans la communication (l’agence Havas), ou encore dans la culture (la salle l’Olympia à Paris, par exemple).

« Machine de guerre culturelle »

Un « véritable empire culturel » qui « favorise les synergies et les coopérations entre les différentes composantes – ainsi les chaînes [du groupe] pourront faire la promotion des livres [du groupe] avec le soutien des agences de comm’ [du groupe], leurs auteurs pourront avoir accès aux salles [du groupe] et leurs ouvrages pourront être mis en avant dans les points de vente [du groupe] ».

Pour illustrer leur propos, les auteurs rappellent ainsi que cette « machine de guerre culturelle » est aujourd’hui « mise pour partie au service de l’extrême droite ». « Les boutiques Relay (groupe Hachette) ont par exemple mis en avant le livre de Jordan Bardella, publié chez Fayard (groupe Hachette), abondamment relayé par les médias comme CNews ou le Journal du dimanche (JDD). » « Pour partie » seulement car toute une frange de l’empire Bolloré ne fait, aujourd’hui, pas dans la production politique (la plateforme MyCanal, par exemple). Un moyen aussi, pour le milliardaire, de se défendre de toute ingérence politique.

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Surtout, ce recentrage sur le secteur de la communication a permis au groupe d’amasser un pactole d’argent considérable. « Après revente des activités portuaires et logistiques, […] Bolloré SE dispose à fin 2024 d’une trésorerie nette positive de plus de 5,3 milliards d’euros et 8 milliards de disponibilités et de lignes de crédit », souligne le rapport. Une quantité d’argent faramineuse dont on ne sait pas, à ce jour, ce que Vincent Bolloré souhaite en faire.

Au vu de l’accélération, ces dernières années, de la croisade idéologique réactionnaire dans laquelle s’est lancé le milliardaire, il est à craindre que cet argent serve encore à l’amplifier. Au vu de l’impact actuel du groupe Bolloré sur le débat public, la nécessité d’une réaction collective, notamment politique et médiatique, à la hauteur de l’enjeu devient une exigence démocratique.

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Société
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