Bayrou, l’indignité politique au service du déni

Au cours de son audition, mercredi 14 mai, le premier ministre a caricaturé la commission d’enquête en « tribunal » et ses membres en juges. Une posture indigne alors que les victimes de violences sexuelles, elles, réclament des politiques publiques concrètes, des moyens et des réparations.

Hugo Boursier  • 15 mai 2025
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Bayrou, l’indignité politique au service du déni
Manifestation devant l'établissement privé Saint-Dominique à Neuilly-sur-Seine le 18 avril 2025, après que d'anciens élèves de l'école catholique ont créé un collectif de victimes suite à l'affaire Notre-Dame-de-Bétharram.
© Thomas SAMSON / AFP

François Bayrou a longtemps été présenté comme le vieux sage des institutions. Celui à qui on ne la fait pas sur l’équilibre des pouvoirs. Monsieur « vitalité démocratique ». Certes, ce vernis s’était déjà bien écaillé avec l’affaire des assistants parlementaires des députés européens, un détournement de fond pour lequel Marine Le Pen, elle, a été condamnée – le patron du Modem ayant été relaxé (1), mais pas son parti, en première instance en février 2024. Ce vernis a fini par définitivement voler en éclats, ces dernières semaines et en direct, mercredi 14 mai, lors de son audition par la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires.

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Le parquet a interjeté appel en février 2024, l’affaire n’est de fait pas close.

Comme dans une mauvaise pièce de théâtre, le Béarnais n’y est pas allé dans la finesse pour se défendre face aux questions précises qui lui étaient posées. Loin de là. Après des off pompeux de conseillers soufflant très fort à l’oreille de journalistes ces derniers jours que le premier ministre ne pensait qu’à cette audition depuis des mois, François Bayrou a déroulé son argumentaire, d’une médiocrité inversement proportionnelle à son engagement contre les violences dans les établissements scolaires, et notamment catholiques sous contrat.

Sur le même sujet : Affaire Bétharram : « absence totale de preuves », vraiment ?

Dans la salle Lamartine, proche de l’Assemblée nationale, le livre critique de la France insoumise, La Meute (Flammarion), écrit par Charlotte Belaïch de Libération et d’Olivier Pérou du Monde, ostensiblement posé devant lui, le locataire de Matignon n’avait qu’un objectif : transformer cet organe précieux de transparence que sont les commissions d’enquête en « tribunal », et les représentants de la nation en juges. Se faisant passer, par la même occasion, en victime – un procédé d’inversion de responsabilité aussi banal que violent, et que les manifestants, réunis à l’appel du Collectif enfantiste, devant l’Assemblée nationale, n’ont pas manqué de relever, dépités.

La version sur ce qu’il savait des violences à Bétharram a changé au moins autant que le nombre de ses mandats écoulés depuis 40 ans.

Mais les attaques de François Bayrou envers les institutions ne se limitent pas aux seules passes d’arme échangées, entre autre, avec la présidente socialiste de la commission d’enquête, Fatiha Keloua Hachi, ou le corapporteur et élu insoumis du Val d’Oise, Paul Vannier. Elles étaient aussi dirigées contre l’ex-juge d’instruction, Christian Mirande, que François Bayrou accuse de mentir. Tout comme le gendarme Hontangs, qui soutient que le ministre de l’Éducation de l’époque est intervenu personnellement dans l’affaire. Lui aussi, aurait tout inventé.

Déni et mauvaise foi

« Les juges et les gendarmes, ça se trompe comme les autres », avait d’ailleurs répondu le premier ministre à Mediapart, dès le 11 avril. « Comme les autres », sauf lui, le notable des Pyrénées-Atlantiques, dont la version sur ce qu’il savait des violences à Bétharram a changé au moins autant que le nombre de ses mandats écoulés depuis 40 ans. Un tel déni devant la représentation nationale pourrait avoir des conséquences politiques très claires, surtout si les membres de la commission saisissent le procureur de la République.

Sur le même sujet : Dossier : Le Scouarnec, Betharram : l’enfance sacrifiée

François Bayrou aurait donc la science infuse quand il donne des leçons institutionnelles. Mais quand sa responsabilité est pointée dans un des plus épais dossiers de violences contre mineurs, ces mêmes institutions deviennent subitement, et non subtilement, ses pires ennemies. La mauvaise foi – qui n’est pas rare lorsqu’une personnalité politique verse dans l’approximation feinte – pourrait prêter à sourire si le sujet n’était pas aussi grave : 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (Ciivise).

Les victimes, elles, n’avaient pas vraiment leur place dans ce satisfecit.

Bien sûr, la loi, la justice, les autorités scolaires ou les enquêtes de police et de gendarmerie sont critiquables. Et les reproches à leur égard doivent être écoutés. Surtout quand les pistes d’amélioration sont elles aussi avancées. C’est le cas de la Ciivise, qui avait formulé, il y a deux ans déjà, 82 préconisations. C’est le cas de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), qui avait proposé, il y a quatre ans déjà, une série d’améliorations. Mais de toutes ces mesures, François Bayrou n’en a repris aucune. Lui seul peut taper sur les doigts des institutions ou des commissions indépendantes.

Preuve supplémentaire de son opportunisme : après l’audition, il se félicitait de sa prestation auprès de journalistes, tout en allant sur le terrain personnel de ceux qui voudraient sa démission. Les victimes, elles, n’avaient pas vraiment leur place dans ce satisfecit. Mais peut-être que, là encore, le premier ministre a, tout simplement, « oublié » de parler d’elles.

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