Taxe Zucman : une évidence qui commence enfin à s’imposer

Depuis la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), imposer les ultrariches était tombé aux oubliettes. Mais, face à la croissance exponentielle de leur patrimoine, à l’augmentation des inégalités, et à la crise des recettes de l’État, le sujet revient (enfin) sur la table.

Pierre Jequier-Zalc  • 12 juin 2025
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Taxe Zucman : une évidence qui commence enfin à s’imposer
Une affiche de rue, à Paris, en décembre 2023.
© Guillaume Deleurence

Le sénateur Les Républicains (LR) est conservateur. Réfractaire au changement. C’est même ce qui le définit. Il ne faut donc pas s’attendre à grand-chose du vote qui a lieu ce jeudi 12 juin, en début d’après-midi, visant à instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des personnes en détenant plus de 100 millions d’euros. Il votera contre. Sinon, pourquoi existerait-il ?

Mais ce constat, certain – et donc, avec lui, le refus de la chambre haute, à majorité LR, d’approuver cet impôt – ne doit pas effacer comment le sujet s’est imposé au fil des mois dans le débat public. La preuve ultime est, très certainement, cette tribune publiée mercredi 11 juin dans les colonnes du Monde. « Nous partageons le constat qu’un impôt plancher sur les grandes fortunes est le plus efficace face à l’inégalité fiscale », écrivent trois économistes de renom, Gabriel Zucman, Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard.

Une mesure soutenue par des économistes libéraux

Pour le premier, rien de bien étonnant. La proposition de loi visant à taxer les ultrariches porte même son nom : c’est lui qui l’a imaginée et, depuis des années, il porte cette idée. Les deux autres économistes qui signent avec lui, sont, en revanche, beaucoup plus surprenants. Ils sont libéraux, proches du pouvoir en place, et (très) loin d’être des communistes. Il y a moins d’un an, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI disait, par exemple, que le programme économique du NFP était « dangereux » et même « pire » que celui du RN.

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Sur le sujet de la taxation des plus riches, le même poursuivait : « Le NFP entend réintroduire l’ISF ; […] On voit mal comment cela n’inciterait pas les détenteurs de revenus élevés, et surtout les entrepreneurs, à délocaliser massivement leurs activités ailleurs. » Jean Pisani-Ferry, lui, a participé à la construction du programme d’Emmanuel Macron en 2017, dans lequel figurait, notamment, la suppression de l’ISF.

Pourtant, ces trois-là, aux airs oxymoriques, ont pris la plume ensemble. Et leur propos ne manque pas de clarté : « Les plus riches ne contribuent pas aujourd’hui à hauteur de ce qui est demandé aux autres catégories sociales, et le mécanisme voté à l’Assemblée est le plus efficace pour remédier à cette situation. » Mais comment en est-on arrivé là ?

Les très riches, toujours plus riches

Depuis la fin du XXe siècle, nous assistons à un phénomène inquiétant : la hausse des inégalités, notamment concernant le patrimoine. C’est-à-dire que les riches – et surtout les très, très riches – accumulent beaucoup plus de richesses que les pauvres, au sens large (les 50 % les moins riches). Au début des années 80, les 1% les plus riches détenaient un peu plus de 15 % du patrimoine national. Les 50 % les plus pauvres, 9 %. Aujourd’hui, les très aisés en détiennent plus de 27 %, quand les 50 % du bas de la distribution en possèdent moins de 5 %.

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Cette trajectoire, particulièrement inquiétante, a largement été documentée par des chercheurs et des chercheuses – Thomas Piketty en tête, avec son best-seller Le Capital au XXIe siècle. En parallèle de cela, du fait d’un paradigme néolibéral qui a infusé dans l’ensemble de notre système politique, les impôts concernant les plus riches ont eu tendance à être baissés, voire supprimés.

Comment accepter que les milliardaires payent, en proportion, moins d’impôts que les smicards ?

À tel point qu’aujourd’hui, ça n’est plus assumable. Économiquement, les résultats sont médiocres – la croissance est atone, le chômage reste haut. Budgétairement, ils sont calamiteux – la France connaît une crise de recettes majeure, ce qui explique, en grande partie, les problèmes budgétaires actuels. Moralement, surtout, ils mettent à mal l’idéal républicain, égalitaire et méritocratique.

Comment accepter que les milliardaires payent, en proportion, moins d’impôts que les smicards ? Que la fortune héritée représente 60 % du patrimoine national ? Qu’on n’hésite pas à faire travailler les gens deux ans de plus – faute d’argent, nous dit-on – mais qu’on ne veuille pas taxer les ultrariches ?  

Une taxe tout sauf injuste

La situation est devenue tellement intenable que plus personne de censé et sincère ne peut trouver la taxe Zucman injuste ou dangereuse :

Non, les riches ne partiront pas. Non, cet impôt n’est pas confiscatoire.

  • Non, les riches ne partiront pas. 1- Ce n’est pas vrai – toutes les études prouvent le contraire – ou ce serait très marginal. Lors de la mise en place de l’ISF, l’argument était le même, or la DGFIP estime à 0,2 % les départs. 2- Des systèmes légaux existent pour les taxer une fois partis – ce que prévoit la taxe Zucman, jusqu’à cinq ans après un hypothétique exil, de quoi les en dissuader.
  • Non, cet impôt n’est pas confiscatoire. Le rendement moyen du capital des ultrariches (ce que leur fortune leur rapporte) ces dernières années est d’environ 6 % par an. Autrement dit : les très riches continueront de s’enrichir plus vite que votre maigre épargne sur votre livret A. Juste, ils s’enrichiront un poil moins qu’avant.
  • Non, attendre une taxe au niveau mondial – même si souhaitable – n’est pas un argument, car cela tend à faire croire que l’État serait impuissant face aux grandes forces de l’argent. Or, c’est à la fois factuellement faux, et profondément inégalitaire. L’État n’a pas eu la main qui tremble pour drastiquement tailler, à répétition, dans l’assurance-chômage.

Un changement de dogme

Si cette taxe est adoptée, elle pourrait rapporter jusqu’à 20 milliards d’euros par an. Près de la moitié du « pognon de dingue » que cherche désespérément François Bayrou. Autant d’argent qu’on n’enlèvera pas à des services publics déjà exsangues. Parce qu’il ne faut pas se le cacher : cet impôt n’est pas miraculeux et ne réglera pas tout, loin de là. Mais, il pose les bases d’un changement de dogme. Du pseudo-ruissellement – qu’on cherche toujours – à la redistribution.

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Et même si nos amis réfractaires du Palais du Luxembourg ne veulent, pour l’instant, pas en entendre parler, ils ne pourront plus très longtemps faire la sourde oreille. Et l’on comprend dans le même temps la réticence, voire la contestation, des membres du gouvernement. Avec plusieurs ministres au patrimoine dépassant les 20 millions d’euros – à commencer par le ministre de l’économie Éric Lombard et ses 21 millions d’euros – ils pourraient bien figurer parmi ceux que l’opinion appelle à faire contribuer davantage, même si trop ‘pauvres’ à ce stade pour être concernés par le mécanisme que propose l’économiste de 38 ans.

Cette taxe Zucman est loin d’être une simple question économique. Elle est une question d’égalité. Aujourd’hui, jeudi 12 juin 2025, les ultrariches font encore sécession. Il est temps, enfin, de dire stop.

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Parti pris et Économie

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