Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.

Pauline Migevant  • 28 juin 2025
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Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
© Illustration politis

La conversation a lieu le 25 mai 2018 sur les coups de 21 heures Les deux hommes ne savent pas qu’ils sont sur écoute et que la DGSI retranscrira leurs paroles au cours d’une longue instruction. « Il aurait déjà fallu qu’on aille dans un coin (…) et dès qu’on voyait un barbu en kamis là, habillé comme ça, qu’on lui en colle une direct et qu’on en croise deux trois nanas voilées qu’on leur en colle une et puis qu’on se tire », Daniel R., alias Tommy, est un ancien militaire qui a servi en Afghanistan.

Entre fin 2017 et juin 2018, l’artificier du groupe AFO (Action des forces opérationnelles), a testé et amélioré des explosifs à base de TATP. Il connaît bien l’homme auquel il s’adresse, ils sont ensemble allés chercher des armes en Belgique. « Ouais, ouais, c’est sûr », répond de l’autre côté du fil, Olivier L, alias Oliès. Ils regrettent que les actions dont il est question lors des réunions avec le reste du groupe ne se soient pas encore concrétisées.

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Quelques minutes après, Daniel R. reprend : « Pour moi, c’est ça il faut taper à l’aveuglette. De toute façon c’est même pas de l’aveuglette puisque c’est eux-mêmes qui montrent leur gueule (…). Ils le montrent puisque c’est pas des habits religieux, c’est des habits politiques. » Oliès répond : « Oui mais on est déjà en guerre ». Il ajoute : « elle a commencé depuis le Bataclan la guerre ». À la barre, Tommy, 39 ans, affirmera avoir bu ce soir-là, Oliès dira, lui, avoir fumé du shit, sous-entendant en somme que ce n’étaient que des mots dépassant leurs pensées.

Depuis l’ouverture du procès pour association de malfaiteurs terroriste de 16 membres de l’AFO, le 10 juin dernier, l’obsession de la guerre civile revient sans cesse. Presque tous les prévenus en ont parlé, comme ils l’avaient fait durant leurs auditions au cours de l’instruction.

Jean C., 69 ans, est un ancien professeur de mathématiques à Trappes. Il se définit comme « patriote » et fait un détour quand il voit un musulman dans la rue car il « ne peut pas savoir s’il est violent ou pas ». Il avait expliqué lors de ses expertises psychologiques et psychiatriques : « La patrie est en danger de mort et la charia arrive. S’il y a un jour la guerre civile contre le jihad, il faudra réagir ». « Je pense que ça va arriver très très bientôt », avait-il dit.

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Sandrine F, 62 ans, estimait pour sa part qu’« AFO proposait une organisation de résistance française à la présence d’une force hostile ennemie ». Sa fille, contactée lors de l’enquête de personnalité, clarifiait son positionnement : « Elle s’imagine que les musulmans vont vouloir s’attaquer aux non-musulmans ». Quant à Guy S., 71 ans, le chef de l’AFO, un type grand de taille, policier retraité devenu antiquaire « il estime, selon l’enquête de personnalité, que l’Islam peut être un adversaire potentiel dans une perspective de guerre de civilisation ».

Pour certains prévenus, l’agression commence vite, très vite. Et qui dit agression, selon eux, dit droit de se défendre.

Une guerre raciale

La notion de guerre civile, théorisée par l’extrême droite aux États-Unis avant d’être importée en France, est adorée de la fachosphère. Sur le site Guerre de France, par ailleurs toujours actif, grâce auquel l’AFO recrutait, l’idée selon laquelle la guerre civile va arriver est clairement énoncée. « Ce site est dédié à la préparation militaire de la guerre qui se profile sur le territoire métropolitain » pouvait-on lire sur la page d’accueil. Les « lois de la République sont à respecter » était-il mentionné « jusqu’à la limite fixée par l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme de 1793 ». « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Le paragraphe « les adversaires » énumère entre autres : « les tenants du système islamique, Les Africains subsahariens même d’origine et de culture catholique, Les milices gauchistes, anarchistes, zadistes, antifas ». « Comment on détermine une agression ? », demande la présidente du tribunal à Bernard S., chef de la région francilienne de l’AFO. « Je sais pas, ça me paraît tellement basique », estime-t-il. « Je crois que l’actualité internationale démontre que ce n’est pas si facile de déterminer par qui on est agressés ».

Pour certains prévenus, l’agression commence vite, très vite. Et qui dit agression, selon eux, dit droit de se défendre. « À partir du moment où il y a un conflit civil en France où moi je me sens menacé, on rentre dans une guerre. Attaquer son ennemi quand on est innocent, ça me semble pas choquant », explique Olivier L. à la barre. « Mais à quel moment aurait-on été en guerre et à l’appel de qui vous seriez entré en guerre ? », cherche à savoir la présidente du tribunal.

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« Des séries d’attentats, des émeutes dans les banlieues… la guerre, on voit quand elle commence. » Il poursuit : « si ma famille est en danger moi, je me sens le droit de résister. C’est ce qu’a fait la résistance en 40 ils se sont arrogé le droit de se défendre. C’était pas officiellement décrété par la république française, vous voyez ce que je veux dire. » Il ajoute : « Je peux être très radical si je suis en danger je reconnais. »

« Est-ce que vous craigniez la guerre civile ou est-ce que vous vouliez la provoquer ? »

Audition après audition, les prévenus brandissent cette crainte, ou plutôt cette conviction que la guerre civile arrivait, pour éluder ce que le Parquet national antiterroriste leur reproche aujourd’hui, à savoir la préparation d’actions violentes visant la communauté musulmane. Les prévenus se cachant derrière le « survivalisme » et la volonté de « se défendre », la présidente du tribunal tente encore et encore de leur demander en quoi fabriquer du TATP, ou prévoir d’injecter de la mort-aux-rats dans des barquettes de nourriture halal serait défensif et non offensif. Parfois la question est plus explicite : « Est-ce que vous craigniez la guerre civile ou est-ce que vous vouliez la provoquer ? »

Un autre élément largement cité aux cours des audiences est un document détaillant l’opération halal retrouvé lors des perquisitions.

La question paraît presque rhétorique au vu des preuves rassemblées dans ce dossier. Après un entretien de recrutement en juin 2018, l’agent infiltré de la DGSI avait rapporté ce que lui avaient dit Bernard S., chef de la cellule île de France et son bras droit Philippe C, dans le fond d’un café en plein centre de Paris.

« Ils ont expliqué qu’au prochain attentat majeur, style « Bataclan » ou « Nice », ils étaient déterminés à tuer 200 imams radicalisés. Ils ont expliqué, qu’une fois cette tuerie faite, les « ennemis », les musulmans, riposteraient, ce qui obligerait l’opinion publique et le gouvernement français à prendre position. Ils procéderaient ensuite à une nouvelle attaque, pour, d’après leurs dires, créer deux camps et provoquer une sorte de guerre civile. »

Un autre élément largement cité aux cours des audiences est un document détaillant l’opération halal retrouvé lors des perquisitions. « Premier constat : l’attentat de Trèbes a été un formidable déclencheur. Si l’ordre avait été donné de mener une action, il est triste de constater que nous aurions été pris de court. Soyons lucides, nous n’étions pas prêts », lit-on dans ce papier. Ce document détaille ensuite les « solutions palliatives » et notamment l’OP halal, et l’OP mosquée.

Le 3 mai 2018, lors d’une conversation téléphonique matinale, les fondateurs d’AFO, Guy S. et Dominique C. évoquent eux aussi cet attentat.

À l’homme qui a rédigé le document, Philippe C., la juge commente à propos du premier constat : « Elle est compliquée quand même cette phrase monsieur… » Le 23 mars 2018, l’attentat islamiste en question a fait 4 morts et quinze blessés. La juge poursuit : « On peut comprendre derrière que vous n’attendiez que ça pour avoir la possibilité de réagir. » En réponse, l’homme sort la rengaine qui revient tout au long des interrogatoires : ça « se serait arrêté », « c’était pour montrer au groupe qu’on pouvait faire des choses sérieuses ».

Le 3 mai 2018, lors d’une conversation téléphonique matinale, les fondateurs d’AFO, Guy S. et Dominique C. évoquent eux aussi cet attentat. « Qu’ils l’admettent ou qu’ils l’admettent pas, nous sommes bien en guerre », dit ce dernier. « Maintenant nous sommes à 260 morts sur le territoire national quand même. » Ce à quoi Guy S. répond : « Très prochainement, ils auront l’occasion de le constater eux-mêmes ». Dans ses retranscriptions, la DGSI décrit quand c’est nécessaire, le ton employé par ceux qui sont sur écoute. Après cette phrase, sonnant comme une promesse de violence raciste, les renseignements ont écrit : « rires ».

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