Procès AFO et terrorisme d’extrême droite : l’assourdissant silence des politiques

Après trois semaines d’audience, le procès du groupe d’extrême droite AFO s’est achevé le 2 juillet. Les 16 prévenus ont dû s’expliquer sur les projets d’attentats islamophobes pour lesquels ils étaient poursuivis. Une affaire gravissime sans exposition médiatique ni indignation politique.

Pauline Migevant  • 3 juillet 2025
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Procès AFO et terrorisme d’extrême droite : l’assourdissant silence des politiques
Manifestation contre l'islamophobie, à Paris, le 11 mai 2025.
© Serge d'Inazio

En juin 2018, les journaux révélaient des projets d’attentats racistes d’un groupe d’extrême droite, l’AFO, pour Action des forces opérationnelles, dont certains membres avaient été perquisitionnés et arrêtés. Parmi ces projets : tuer 150 à 200 imams, tuer le rappeur Médine, empoisonner de la nourriture halal. Au vu de l’ampleur des projets, l’information avait largement circulé.

Sept ans plus tard, à l’issue d’une longue instruction et de trois semaines d’audience durant lesquelles les prévenus accusés d’association de malfaiteurs terroriste ont défilé à la barre, une chose étonne particulièrement : l’absence de réaction politique face à ce procès majeur. Aurait-il fallu qu’ils empoisonnent finalement de la viande halal pour que les politiques réagissent ? Fallait-il attendre qu’ils remontent à contre-sens un embouteillage en jetant des explosifs dans la « voiture des Arabes » ?

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Il n’y a pas de doute sur le fait que si 16 personnes étaient jugées pour avoir voulu commettre des attentats islamistes, les réactions ne se seraient pas fait attendre.

L’ampleur de l’affaire et l’implication dans ce groupe d’anciens policiers et d’anciens militaires auraient pu justifier une réaction de la Macronie. Mais son silence n’est pas étonnant, alors que les lois immigration se multiplient et que le gouvernement assume de mener des rafles racistes. En revanche, l’absence de réaction de la gauche – dont une partie commence tout juste à prendre conscience de l’islamophobie et du racisme systémique –, étonne davantage. D’autant que ce procès intervient peu de temps après les meurtres racistes d’Aboubakar Cissé et de Hichem Miraoui.

Sentiment d’impunité

La sous médiatisation du procès n’y est sans doute pas pour rien. Le fait que ce procès n’ait pas fait la une des journaux est inquiétant. C’est le symptôme d’une forme d’indifférence, face à la gravité des actes. 16 personnes venues de partout en France jugées pour la préparation d’attentats islamophobes : cela aurait dû être de notoriété publique.

Durant les semaines d’audience, lesprévenius se sont permis des traits d’humour à la barre, quand ils ne réfutaient pas tout simplement la gravité de leurs projets.

Il y a fort à parier que l’absence de réactions politiques et la sous-médiatisation ont nourri le sentiment d’impunité que l’on percevait chez certains prévenus. Durant les trois semaines d’audience, ils se sont permis des traits d’humour à la barre, quand ils ne réfutaient pas tout simplement la gravité de leurs projets. La plupart ne semble pas avoir évolué d’un iota sur le fait de considérer les « musulmans » (comprendre plus généralement les personnes non blanches), comme une menace dont il faudrait se défendre. Pire, durant le procès, le site Guerre de France qui avait servi de plate-forme au groupe pour recruter et diffuser de la propagande a été mis à jour.

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Peu de publicité donc, mais trop aux yeux de certains prévenus qui ont réussi à se victimiser. L’avocat d’un des prévenus, Me Delinde, est intervenu pour invectiver les journalistes, les accusant de dévoiler des noms et des identités pouvant conduire à une « mort sociale », voire à des menaces de mort. Au-delà du fait que la publicité des débats est un principe démocratique fondamental, cette accusation contre la presse est infondée, sachant que les journalistes ont pris la précaution de ne pas exposer l’identité entière des personnes accusées (précaution d’ailleurs moins prise lorsqu’il s’agit de terrorisme islamiste).

En fait, le seul nom qui est sorti est celui du chef de l’AFO. Et si son identité a été dévoilée, c’est qu’il avait bénéficié d’une interview « confidences » dans Le Parisien quelques jours après les arrestations et perquisitions en 2018.

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Dans la même veine, les associations et le rappeur Médine qui se sont portés partie civile en ont aussi pris pour leur grade. Certains avocats de la défense ont ainsi laissé entendre que la possibilité pour certaines associations comme Musulmans de France de se porter partie civile et donc d’avoir accès au dossier pourrait mettre en danger les prévenus. Me Pichon, avocat d’extrême droite, a invoqué la proximité supposée de cette association avec les Frères musulmans, un soupçon qui fait écho direct au rapport commandé par Bruno Retailleau sur « l’entrisme frériste » en France.

Malheureusement, la défiance envers les associations de défense des droits humains qui se positionnent sur le racisme et l’islamophobie n’est pas si étonnante, dans un contexte où Bruno Retailleau s’en prend régulièrement à la LDH et à La Cimade, et où le soupçon permanent qui règne sur les militants et collectifs antiracistes permet de justifier leur répression judiciaire et administrative.

Mais de tout cela, la presse n’a pas pu en rendre compte en délaissant les bancs du tribunal.

Tous responsables ?

Une question particulièrement importante est ressortie de ce procès, celle de la responsabilité collective sur le fait qu’en France des gens s’organisent pour tuer des personnes non-blanches. Honnêtes intellectuellement, certains avocats de la défense, ont nommé le racisme à l’œuvre. Dès le premier jour d’interrogatoire, Me Dumenil – qui défendait Daniel R, l’artificier du groupe –, a évoqué « le racisme crasse » des prévenus. D’autres ont déploré lors de leur plaidoirie l’augmentation du racisme pour noyer la responsabilité individuelle de leurs clients.

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Il serait illusoire de penser que la montée du racisme et de l’extrême droite n’a pas autorisé les prévenus d’AFO à envisager ces actes. Certes, ils étaient perfusés aux tréfonds les plus crasseux de la fachosphère. Mais ce racisme n’est pas cantonné à des chaînes YouTube ou des sites d’extrême droite. Il est diffusé allégrement dans les médias dominants comme dans la bouche des responsables politiques. Le soupçon qui pèse sur les personnes racisées – être séparatistes ou au contraire de faire de l’entrisme –, est répandu par l’État lui-même.

Aujourd’hui, le racisme qui s’exprime à tous les niveaux se traduit par des actes. La menace est vitale.

Pour autant, l’un des principes fondamentaux en droit pénal est la responsabilité individuelle, comme le rappelle Mohamed Jaite, l’un des avocats de la LDH dans une interview à Politis. Les prévenus devront donc répondre de leurs actes. Le délibéré est attendu fin septembre. Il est nécessaire de ne pas tourner les yeux et de décrire les mécanismes à l’œuvre pour mieux les combattre politiquement. Bref, ne pas ignorer. Aujourd’hui, le racisme qui s’exprime à tous les niveaux se traduit par des actes. La menace est vitale.

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