Face à Sébastien Lecornu, les gauches cherchent le chemin de la censure

Les prises de position du nouveau premier ministre ont permis à la gauche de se réunir autour de l’idée d’une censure. Mais les divergences stratégiques entre les composantes de l’ex-Nouveau Front populaire ne disparaissent pas d’un claquement de doigts.

Lucas Sarafian  • 1 octobre 2025 abonné·es
Face à Sébastien Lecornu, les gauches cherchent le chemin de la censure
Sébastien Lecornu, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 3 mars 2025.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Petit miracle. Les dernières prises de position de Sébastien Lecornu ont au moins réussi une chose : réaligner la gauche sur une envie de censure. Socialistes, écolos, communistes et insoumis imaginent la suite de la même façon : il est désormais difficilement envisageable d’épargner le locataire de l’hôtel de Matignon, en poste depuis plus de vingt jours sans avoir nommé de gouvernement, qui refuse de faire la moindre concession. Dans un entretien accordé au Parisien le 26 septembre, le premier ministre a dit non à tout. Le retour de l’impôt sur la fortune ? Pas question. La taxe Zucman ? Jamais. Revenir sur la réforme des retraites ? Inenvisageable.

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En retour, la gauche chante en chœur. Fait rare. « Le premier ministre Lecornu vient de battre un record, celui du plus long délai de nomination d’un gouvernement, dit la patronne des députés insoumis, Mathilde Panot. Nous lui proposons de battre un nouveau record, celui du premier ministre le plus éphémère de toute l’histoire de la Ve République. » Le porte-parole du groupe écolo Benjamin Lucas lâche : « Toujours un enfermement obsessionnel et dogmatique dans l’idéologie austéritaire quoi qu’il en dise. »

J’ose espérer que ce n’est pas la copie que met sur la table Sébastien Lecornu pour ne pas être censuré.

R. Eskenazi

« On a pris un coup de massue avec cet entretien au Parisien, avoue le porte-parole du groupe socialiste Romain Eskenazi. J’ose espérer que ce n’est pas la copie que met sur la table Sébastien Lecornu pour ne pas être censuré. » Le président du groupe communiste Stéphane Peu est d’accord : « On est vraiment dans la continuité, dans un budget Bayrou bis. Peut-être avec des discussions au Parlement. Mais avec des discussions au Parlement qui ne nous disent pas si elles aboutiront. »

Devant ce constat, Stéphane Peu se montre certain. « Tout ça nous amènera probablement, quand le gouvernement sera nommé, à discuter avec nos collègues du Nouveau Front populaire pour une censure rapide », estime-t-il. Mais à gauche, la moindre initiative unitaire semble être un Himalaya à gravir. Car si toutes les composantes de ce qui constituait en 2024 le Nouveau Front populaire savent que la censure est inéluctable, ils ne s’imaginent pas signer le même texte.

Couloir de nage

Chacun reste dans son couloir de nage. Et pas question d’en sortir. Après la réunion de l’intersyndicale à Matignon, le 24 septembre, les insoumis ont dégainé les premiers. Le groupe parlementaire mélenchoniste a invité le reste de la gauche à signer une motion de censure commune. « Sébastien Lecornu n’a pris aucun engagement pour l’abrogation de la réforme des retraites ou l’abandon du plan d’austérité de François Bayrou », avancent les mélenchonistes.

Deux jours plus tard, le 26 septembre, la présidente du groupe écolo, Cyrielle Chatelain, a écrit à Mathilde Panot, Boris Vallaud, Stéphane Peu et Emeline K/Bidi, ses homologues insoumis, socialistes et communistes. « Nous sommes convaincus qu’il est de notre devoir de construire une réponse collective face à l’attitude du premier ministre », énonce l’écolo dans sa missive.

Une motion de censure unitaire, contre un gouvernement de continuité, enverrait un signal fort.

C. Chatelain

Chatelain souhaite que tous les groupes de gauche travaillent sur une même motion de censure : « Une motion de censure unitaire, contre un gouvernement de continuité, enverrait un signal fort aux Françaises et aux Français : celui d’une gauche et des écologistes prêts à assumer leurs responsabilités face à un pouvoir affaibli et obstiné. » La députée écolo n’a reçu aucune réponse.

Les socialistes sont dans une autre stratégie. Eux ne veulent pas s’atteler tout de suite à l’écriture d’une motion de censure. Contrairement aux insoumis qui veulent en déposer une dès le premier jour de la session parlementaire. Et soucieux de ne pas être accusés d’irresponsables, les socialistes se rendront une seconde fois à Matignon le 3 octobre pour se positionner clairement.

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« J’ose espérer que cet entretien est une base de négociation réunissant les propositions du socle commun, et non la copie définitive. Car le compte n’y est pas, affirme Romain Eskenazi. Nous espérons que le premier ministre a conscience que les mêmes causes produisent les mêmes effets. » Selon un collaborateur parlementaire, les groupes devraient converger sur le même texte en début de semaine prochaine, à la fin des consultations de Matignon. Comprendre une fois que les socialistes seront certains que Sébastien Lecornu ne mettra pas en place les « ruptures » qu’il a promises.

Calmer le jeu

Mais encore faut-il que les roses acceptent de parapher à côté d’insoumis. « Nous verrons. Si le compte n’y est pas, nous déposerons notre propre motion de censure et nous prendrons nos responsabilités en faisant en sorte que ce gouvernement tombe s’il ne veut pas entendre ce que disent les Français », a expliqué Olivier Faure le 29 septembre sur RMC. L’Assemblée nationale se retrouverait-elle alors à voter deux motions de censure issues de la gauche ?

Au milieu du duel entre insoumis et socialistes, les écolos veulent calmer le jeu. « Pour qu’un gouvernement tombe, il faut qu’il soit constitué. Nous aurons, la semaine prochaine, une séance de questions au premier ministre ou de questions au gouvernement s’il en nomme un. Et j’attends aussi une déclaration de politique générale, il peut ne pas y en avoir », estime Léa Balage El Mariky, porte-parole du groupe écolo.

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Matignon n’a pas annoncé la date officielle de la prise de parole de Sébastien Lecornu devant l’Assemblée. Et la Macronie préfère se concentrer sur la non-censure qu’elle pourrait obtenir de l’extrême droite en proposant aux troupes de Marine Le Pen des postes d’importance au bureau de la Chambre basse. La moindre motion de censure de gauche serait alors incapable d’obtenir une majorité. Et ces guerres intestines n’auraient plus tellement de sens.

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