Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente
Le PS s’apprête à ne pas voter la censure contre le gouvernement Lecornu. Une décision au nom de la « responsabilité » qui ravive pourtant un vieux soupçon : celui d’un parti incapable de choisir entre rupture et accommodement. À trop vouloir durer, le socialisme français risque surtout de s’effacer.

© Thomas SAMSON / AFP
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À l’Assemblée, Sébastien Lecornu gagne du temps grâce aux socialistes Pourquoi les annonces de Sébastien Lecornu sont une arnaqueLa position que s’apprête à adopter le Parti socialiste face à la motion de censure déposée contre le gouvernement Lecornu semble désormais écrite d’avance. Après un discours de politique générale de l’ex nouveau premier ministre Sébastien Lecornu, reprenant plusieurs des demandes formulées par les socialistes – à commencer par la suspension de la réforme des retraites –, tout laisse penser que le PS ne s’associera pas à la censure ce jeudi.
Ce choix, que la direction du parti justifie au nom de la responsabilité politique et institutionnelle – et sans doute en réalité de la crainte d’une dissolution –, marque une inflexion lourde de sens. Derrière l’argument de la cohérence politique, se profile le retour à une prudence qui renoue, sous des formes nouvelles, avec les vieux réflexes de la social-démocratie française.
Olivier Faure avait pourtant semblé rompre avec cette tradition. Depuis sa prise de direction, il s’était efforcé de réinscrire le PS dans une dynamique clairement située à gauche, en renouant avec la logique d’union et en cherchant à rétablir une cohérence idéologique mise à mal par les années de pouvoir.
À force de compromis, la gauche réformiste a ouvert la voie à la montée des droites nationalistes et illibérales.
Dans un paysage politique en recomposition, ce recentrage à gauche avait redonné au parti une visibilité et une crédibilité longtemps perdues. Mais le refus annoncé de la censure, même politiquement argumenté, réactive une suspicion ancienne : celle d’un parti oscillant sans cesse entre deux lignes, incapable de trancher entre l’affirmation d’une alternative de gauche et la tentation d’un accommodement avec le pouvoir en place.
Le risque est de raviver le souvenir des renoncements du quinquennat de François Hollande, lorsque la social-démocratie française s’était épuisée à concilier deux logiques contradictoires – la défense des plus modestes et la gestion conforme aux contraintes du marché. Ces ambiguïtés, communes à la plupart des partis sociaux-démocrates européens, ont conduit à leur affaiblissement durable.
À force de compromis, la gauche réformiste a perdu son assise populaire et ouvert la voie à la montée des droites nationalistes et illibérales. En ce sens, la probable abstention du PS dépasse le seul cadre conjoncturel : elle traduit une peur persistante de la rupture, et avec elle, une incapacité à choisir entre deux impératifs : la stabilité institutionnelle et la reconstruction d’un projet politique alternatif.
Car si le gouvernement Lecornu reprend des propositions socialistes, en les faisant payer cher aux Français – « la suspension devra être compensée par des économies », a assuré Lecornu devant les parlementaires en ajoutant que « la réforme des retraites devrait aller plus loin », comprendre que les Français devraient travailler plus longtemps – c’est d’abord pour mieux neutraliser la gauche réformiste et fracturer le bloc progressiste.
En saluant ces avancées sans oser la rupture, le PS risque d’apparaître comme la béquille d’un pouvoir finissant. Il s’isole de ses partenaires du Nouveau Front populaire, alors même que l’unité demeure la seule stratégie capable de rendre crédible une alternance. Ce geste, perçu comme une forme d’accommodement, brouille à nouveau la distinction entre la gauche et la droite – brouillage qui fut précisément à l’origine de son déclin.
Les autres forces du Nouveau Front populaire dénonceront, non sans raison, une trahison.
Pourtant, la lucidité oblige à reconnaitre la part de vérité dans le calcul socialiste. Voter la censure reviendrait presque mécaniquement à provoquer une dissolution de l’Assemblée nationale. Or, la gauche, divisée et encore marquée par des divergences stratégiques profondes, n’est pas prête à affronter une nouvelle campagne. Dans un tel contexte, une dissolution ouvrirait probablement la voie à une victoire, au moins relative, du Rassemblement national et à l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon.
Le PS se trouve ainsi pris dans une contradiction emblématique des impasses actuelles de la gauche française : choisir entre un geste de rupture porteur de risques politiques considérables et une prudence qui, à terme, l’isole davantage. Les autres forces du Nouveau Front populaire dénonceront, non sans raison, une trahison.
Une trahison qui ne sera pas sans conséquences pour les municipales dans quelques mois, ou des législatives si le gouvernement Lecornu devait tomber tôt ou tard. Imaginons un instant que la censure soit votée, ce jeudi, sans les voix des socialistes. Ce serait double peine pour le parti à la rose : un retour aux urnes isolé par le reste de la gauche et la responsabilité d’avoir voulu sauver ce qu’il restait de la macronie.
Il est évident qu’en cas de législatives anticipées, les non-censeurs paieront cher le prix du sauvetage du bloc central. Mais il faut aussi admettre qu’une dissolution immédiate ne servirait personne, sinon l’extrême droite que la situation pourrait bien pousser dans les bras des Républicains, ou du moins de quelques-uns des LR – de plus en plus nombreux à franchir le pas.
La gauche française n’échappe donc pas à ce paradoxe : elle réclame le courage du changement tout en redoutant les conditions concrètes de ce changement. Le Parti socialiste, en s’abstenant probablement, choisira le temps long de la préservation. Mais ce temps long peut vite devenir celui de l’effacement.
S’il veut peser dans la recomposition, le PS devra retrouver une cohérence stratégique et une clarté doctrinale.
S’il veut peser dans la recomposition à venir, le PS devra retrouver non seulement une cohérence stratégique, mais aussi une clarté doctrinale. Car en politique, la confusion n’est jamais durablement viable : elle finit toujours par profiter à ceux qui, eux, savent ce qu’ils veulent. Fidèle à sa tradition, le Parti socialiste semble une nouvelle fois préférer le compromis à la rupture. Mais dans l’histoire de la gauche, les compromis ne sauvent jamais : ils retardent. Ils préservent un peu de pouvoir mais détruisent beaucoup de sens. Et le sens, aujourd’hui, est ce qui manque le plus à la gauche française.
À force de prudence, le PS ne trahirait pas seulement une stratégie ; il trahirait une espérance – celle, fragile mais tenace, que la gauche puisse enfin redevenir claire sur ce qu’elle est, sur ce qu’elle veut, et sur ce qu’elle refuse d’être. Car au bout du compte, la confusion demeure le pire des renoncements. Et c’est elle, plus encore que le rendez-vous probable de la censure manquée, qui menace d’isoler le Parti socialiste non seulement de la gauche, mais de l’Histoire.
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