Budget : le renoncement socialiste

Le Parti socialiste, qui avait retrouvé une cohérence en renouant avec la gauche au moment de la Nupes, semble aujourd’hui s’égarer à nouveau. En validant la trajectoire gouvernementale, il fragilise tout le camp progressiste.

Pierre Jacquemain  • 9 décembre 2025
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Budget : le renoncement socialiste
De gauche à droite, le président du groupe parlementaire Socialistes et alliés Boris Vallaud, Olivier Faure, Jérôme Guedj et François Hollande attendent le début d'un débat parlementaire consacré au budget 2026 à l'Assemblée nationale, à Paris, le 3 novembre 2025.
© Bertrand GUAY / AFP

Il fallait du courage pour réarrimer le Parti socialiste à gauche après des années d’errances idéologiques et un quinquennat qui avait tué la gauche. Olivier Faure l’avait eu. La création de la Nupes, dans le fracas d’une présidentielle calamiteuse, avait constitué un geste rare : accepter un rapport de force défavorable pour reconstruire un espace commun.

On pouvait contester la méthode, mais pas la cohérence : pour la première fois depuis longtemps, le PS assumait la gauche plutôt que de s’en excuser. Il n’aura fallu que quelques semaines pour que tout vole en éclats. Non dans une grande bataille stratégique, mais dans une succession de renoncements, de votes « responsables ».

Le PS a choisi l’issue la plus confortable : ne plus proposer, voire renoncer, et se positionner contre son propre camp pour exister. Le vote du budget en est l’illustration la plus spectaculaire. Soutenir un budget, ce n’est pas « éviter le chaos », c’est endosser la trajectoire d’un exécutif qui fait reculer les droits sociaux, abîme les services publics et repousse la bifurcation écologique.

Le PS a beau jouer sur les mots, il a apporté un soutien concret au gouvernement.

Le renoncement de la social-démocratie

On peut débattre de ce choix, mais pas de son sens : un vote budgétaire est un vote de confiance. Le PS a beau jouer sur les mots, il a apporté un soutien concret à un gouvernement dont il prétend combattre les orientations.

Dans le même temps, ses lignes rouges ont été gommées : taxe Zucman enterrée, engagements écologiques repoussés, abrogation de la réforme des retraites remplacée par une prétendue suspension – dont on est sûr de rien. On peut y voir du pragmatisme. Mais à force d’en appeler au « sérieux », le PS ne défend plus grand-chose sinon l’idée qu’il serait par nature plus raisonnable que La France insoumise.

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Cette boussole réduite à un réflexe pavlovien – se distinguer à tout prix de la gauche radicale – ne produit aucun projet si ce n’est celui du renoncement, comme nous y habitue la social-démocratie. En voulant apparaître fiable, le PS est devenu une béquille institutionnelle du gouvernement. Il n’a ni gagné en crédibilité ni renforcé son identité, il a perdu en lisibilité et en singularité.

Quelle différence reste-t-il aujourd’hui entre la ligne du gouvernement et celle d’un parti qui valide ses budgets et renonce à incarner une alternative ? Quelle utilité a un parti qui n’assume ni rupture ni continuité, mais une zone grise où la gauche devient prudence et où l’ambition se dissout ? Cette dérive n’est pas seulement interne : elle rejaillit sur l’ensemble de la gauche, déjà fragmentée et incapable de dégager un horizon commun.

Sous l’emprise, mais de qui ?

À l’approche des municipales et, surtout, de la présidentielle, cette désorientation brouille encore le paysage. Comment convaincre un électorat déboussolé si l’un de ses principaux partis joue à contretemps de son propre camp ? Que restera-t-il de la crédibilité collective lorsqu’un pilier historique choisit d’être « responsable » au moment où l’unité et la clarté seraient les seules armes contre l’effacement ?

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Il a beaucoup été dit que le PS était « sous l’emprise » de La France insoumise. On oubliait que cette alliance lui avait redonné de la cohérence, puis de l’espace, jusqu’à rééquilibrer le rapport de force à l’Assemblée. Pourtant, personne ne dit aujourd’hui que le PS semble désormais sous l’emprise de son aile droite, elle-même alignée sur Place publique et la perspective – incertaine mais centrale – d’une candidature de Raphaël Glucksmann.

Peut-être parce que cela révélerait ce que le PS n’assume pas : en renonçant à une ligne de gauche claire, il regarde toujours vers sa droite. Et qu’à force de chercher une respectabilité introuvable, il perd l’essentiel : la capacité à représenter celles et ceux qui attendent un changement radical, et d’apparaître comme une alternative crédible.

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