La CAF superflic ?

Christine Tréguier  • 6 mars 2009
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« Les systèmes informatiques des régimes sociaux et fiscaux ouvrent des possibilités infinies d’exploitation et de croisements des données hors de l’assentiment des assurés sociaux et des familles  », s’est récemment inquiétée la section CGT de la Caisse nationale d’allocations familiales (CAF). Son communiqué faisait suite à une énième circulaire étendant le champ des données conservées dans la base de gestion Cristal de la CAF et leurs destinataires.

La CAF, comme les autres organismes de prestations sociales, fonctionnait, jusqu’à il y a peu, sur le mode déclaratif. Les allocataires déclaraient leur situation et leurs revenus, les organismes payaient et procédaient aléatoirement à des vérifications. On est, au fil des années, passé à l’ère de la centralisation, du recoupement et de la transmission automatisée des données. Le gouvernement Sarkozy a fait de la lutte contre la fraude une mission prioritaire et du développement des échanges de fichiers son moyen. Depuis fin 2008, le fisc transmet automatiquement à la CAF les déclarations de ses 11,3 millions d’allocataires. Elle peut et doit également interroger l’Unedic et Pôle emploi (pour les salaires ou indemnités de chômage), les conseils généraux et préfectures (pour le RMI et bientôt le RMA), les Caisses d’assurance-maladie, de vieillesse, etc. Ponctuellement, elle consulte La Poste, EDF, les opérateurs de téléphonie et d’Internet, et les banques. Sans parler des visites à domicile pour le « contrôle de train de vie » qui va se mettre en place. Une bonne part de ces données est engrangée dans Cristal ; 120 000 techniciens-conseil y ont accès ainsi qu’aux fichiers des organismes partenaires. Daniel Buchet, directeur de la Mission fraude de la CAF, se veut rassurant : «  Leurs mots de passe sont régulièrement changés, et ils accèdent à des portails qui ne délivrent que les informations qui nous concernent.  »

Tout de même, la vie des 11,3 millions de bénéficiaires que compte la CAF est devenue bien transparente et, pour la CGT, «  la lutte contre les fraudes ne peut servir d’alibi à de telles pratiques  ». Ce contrôle social discret, en particulier sur les bénéficiaires des RMI, APL (allocation logement) et API (allocation parent isolé), est d’autant plus inquiétant que la CAF achève la constitution du Répertoire national des bénéficiaires (RNB 30,5 millions de personnes). Ils contiendront pour chaque individu (enfants compris) l’identité, le rôle dans le foyer, les prestations et… le NIR (numéro unique Insee). Lequel, puisqu’il est avec l’aval de la Cnil utilisé comme identifiant unique par la Sécu, le fisc, la CAF et les autres, permet, si besoin, de compiler toutes les données éparses des suspects de fraude ou des personnes « à problèmes ». Un vrai beau casier social virtuel. Le RNB n’est d’ailleurs que le prélude au tentaculaire Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS incluant toutes les aides et prestations publiques) une sorte de centre de triage rassemblant tous les bénéficiaires des régimes obligatoires et d’aides publiques. Dans un nouveau communiqué, la CGT redit son inquiétude face à cette massification des croisements de données à l’insu des personnes. D’autant que les organismes territoriaux (Mairies, services départementaux et régionaux, CCAS, CIAS…etc..) auront eux aussi accès au RNCPS.

La fraude sociale justifie-t-elle un tel dispositif ? Le bilan 2007 fait état de 6 314 fraudes constatées, représentant 58,37 millions d’euros, soit moins de 0,1 % du total des prestations versées par la CAF. Bien peu, comparé aux 28 à 40 milliards de préjudices liés aux fraudes avancés par Éric Woerth, grand timonier de cette lutte sans merci. Question de cible peut être. Ce n’est pas, à de rares exceptions près, en épluchant les dossiers des précaires qu’on débusque les gros arnaqueurs au fisc et à la TVA, et les détourneurs de fonds publics.

Les communiqués de la CGT :
http://www.cgt.fr/spip.php?article35631

http://www.cgt.fr/spip.php?article35809

Échanges – et plus si affinités – entre administration fiscale et organismes de protection sociale 

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3137

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Temps de lecture : 4 minutes
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