Fichage des élèves : peut mieux faire

Le gouvernement a supprimé les sanctions aux parents en cas d’absentéisme, mais un fichier de recension des élèves absents reste en vigueur.

Christine Tréguier  • 13 février 2013
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Fichage des élèves : peut mieux faire
Photo : © CNRBE - [visa-isa.org->http://www.visa-isa.org/node/305]

Il y a des jours où on aimerait vraiment que le gouvernement fasse montre d’un peu plus de cohérence. Le 31 janvier, les professionnels du social et de l’éducation se réjouissaient, à juste titre, de la publication au Journal officiel de l’article de loi abrogeant la « suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire ». Une mesure contenue dans la loi dite Ciotti (2010) et la loi Prévention de la délinquance (LPD 2007), deux tests emblématiques de la politique de « prévention » façon Sarkozy. François Hollande, qui s’était engagé à annuler cette sanction inepte, a donc tenu sa promesse électorale.

Désormais la règle applicable par le directeur de l’établissement d’enseignement « en cas de persistance du défaut d’assiduité  » est de «   réunir les membres concernés de la communauté éducative afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés   » et de nommer un «  personnel d’éducation référent  ». Exit le signalement des absences de plus de quatre jours par mois à l’inspecteur d’académie, lequel avait obligation de dénoncer la famille des écoliers buissonniers au maire, au président du conseil général et à la CAF. Les familles ne donnant pas satisfaction ne se verront plus imposer un contrat de responsabilité parentale et sucrer les allocs en cas de récidive. 

Les militants s’inquiètent cependant de l’oubli – volontaire ou non – des fichiers d’absentéisme que les maires sont tenus de constituer au nom d’une vaine prévention de la délinquance et de la récidive. En finir avec la logique répressive impliquerait de les supprimer et d’abroger l’ensemble des mesures coercitives de la LPD.

On n’en est malheureusement pas encore là. Le fameux « secret partagé » obligeant les travailleurs sociaux, les professionnels de l’enfance en difficulté, de la protection judiciaire de la santé et de l’éducation à communiquer leurs informations sur les cas « difficiles » (enfants et parents) aux responsables de la sécurité (maire, police, justice) est toujours en vigueur. Il n’est nullement question de remise en cause de ce cortège de mesures répressives que les professionnels n’ont cessé de dénoncer depuis 2007. 

Pour le collectif Résistance à la délation, celle-ci ne fait pas partie du métier de travailleur social, fondé d’abord et avant tout sur la relation de confiance, donc sur le plus strict respect du secret professionnel. Ce secret partagé et le fichage, déployé dans toutes les administrations sous couvert d’améliorer la gestion et les services », transforment, si on n’y prend pas garde, les personnes en difficulté venant demander une aide ponctuelle en « personnes à risque », fraudeurs, décrocheurs, délinquants en devenir, qu’il faudrait par anticipation dépister, surveiller, ficher et punir.

 On retrouve ces mêmes préoccupations au cœur du texte « L’informatisation en service social, du rêve au cauchemar ! », publié par le Collectif d’assistantes sociales et de secrétaires du conseil général (CG) de Seine-Saint-Denis. Elles y dénoncent le formatage insidieux et l’impact néfaste sur leur métier de Cosmos – une application destinée à améliorer la gestion et le service aux usages du service social du CG (voir « De quels droits » du 28 novembre 2012).

** «   À ceux qui brandissent l’archaïsme pour justifier le suivisme d’une modernisation forcée , écrivent-elles, nous répondons que nous n’avons pas besoin de l’outil informatique pour interférer dans notre relation avec les personnes reçues et dans notre savoir-faire. Il s’immisce entre les personnes et nous, il provoque la méfiance et le doute, il éloigne les collègues les unes des autres. Nous voulons garder notre subjectivité, notre ressenti, notre savoir-faire et notre pensée . »

Elles s’interrogent sur les vraies finalités de ce fichage discret et ses conséquences : pourquoi un fichage nominatif des usagers du service ? Pourquoi rendre publiques des informations confidentielles, à rebours des principes fondamentaux du secret professionnel ? Pourquoi ne pas s’en tenir aux données socio-économiques de l’Insee ? En quoi la saisie de données qui lient une identité et des informations censées être confidentielles apporte-t-elle de la qualité au service rendu ? Autre question formulée par Alain Abelhauser, Roland Gori et Marie-Jean Sauret dans la Folie évaluation  :

« Peut-on alors encore parler de travail humain ? […] Naguère, les chefs devaient veiller à la docilité du travailleur, à ce qu’il se soumette à quelques fonctions exigées par la machine (d’un nombre fini) ; désormais c’est l’organisation bureaucratique avec son traitement statistique de toutes les données et sa rhétorique d’expertise qui donne aux chefs une légitimité au développement infini de l’oppression sociale. »  

Cette question est centrale pour nos sociétés qui ne jurent plus que par le management et la rentabilité, et dissimulent de moins en moins bien leur volonté de contrôle sur les humains rabaissés au rang d’« usagers », d’« utilisateurs », voire de « clients ».

Certes, aucune promesse de campagne n’oblige le gouvernement à remettre en cause ces usages à vocation répressive et idéologiquement orientée de l’informatique. Mais le constat de leur inefficacité, les objections de la gauche lors du vote de ces mesures et son engagement déclaré en faveur d’une société plus juste et plus équitable exigeraient qu’il aille au bout de sa logique et passe au correcteur l’intégralité de la LPD et autres lois sécuritaires sarkozystes.

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