Les grosses ficelles de Marine Le Pen

Privée de son immunité parlementaire, la présidente du FN crie au « procès politique ». Et multiplie les bobards pour mieux se poser en victime. Nous en dressons ici la liste.

Michel Soudais  • 3 juillet 2013
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Les grosses ficelles de
Marine Le Pen

Sitôt son immunité parlementaire levée par le Parlement européen , Marine Le Pen avait antenne ouverte sur les chaînes d’info pour crier à la persécution. Sans rien connaître du dossier, BFM-TV, surnommée BFN-TV sur les réseaux sociaux, et I-télé lui ont offert une jolie tribune pour se présenter en « dissidente » que l’on cherche à « abattre sur le plan judiciaire » , ainsi qu’à ses proches, sans jamais démonter les grosses ficelles d’une campagne de victimisation que le FN a visiblement bien préparée. Six bobards constituent le fond de la contre-attaque lepéniste :

1. Marine Le Pen prétend avoir été jugée sans débat. Mais s’il n’y a pas eu de débat en séance plénière sur ses propos et la plainte qui les vise, c’est parce que dans le cadre d’une procédure normale ce débat a lieu en commission des Affaires juridiques. Mme Le Pen y a bien évidemment été invitée à faire valoir sa défense « à trois reprises, en mars, avril et mai » , affirme une source parlementaire citée par Le Monde . Elle n’a jamais souhaité répondre à cette invitation. Pour mieux se poser aujourd’hui en victime.

2. Elle est victime d’une « distorsion de traitement » . Le Parlement européen ayant plutôt tendance à préserver l’immunité de ses membres. Cela s’est souvent vérifié en effet, et à juste raison, notamment quand les députés européens suspectent derrière une plainte ce qu’ils appellent le « fumus persecutionis » . Mais la liste d’une trentaine de cas pour lesquels le Parlement, depuis sa création en 1979, a refusé de lever l’immunité parlementaire, liste brandie par Marine Le Pen sur les écrans comme preuve de son traitement particulier, mérite d’être lue avec discernement et attention.
Non seulement elle ne mentionne aucune des nombreuses demandes de levée d’immunité examinées et souvent acceptées par le Parlement européen[^2], mais certains des cas de laxisme dénoncés à l’antenne par Mme Le Pen reposent sur des accusations qui en leur temps étaient mal étayées ou contestables. Et puisqu’elle a cru bon mentionner les procédures qui les visaient, le lecteur de cette liste pourra constater que Mme Le Pen estime anormal que le Parlement européen ait refusé de lever l’immunité parlementaire de Marco Pannela ou Emma Bonino, deux membres du Parti radical italien poursuivis dans les années 1980 pour avoir aidé des femmes à contourner la législation anti-IVG alors en vigueur en Italie.

3. Sa levée d’immunité est « contraire à toute la jurisprudence de cette assemblée » . Faux, puisque dans le document élaboré par le FN lui-même on trouve, au hasard des pages, cette jurisprudence résumée ainsi, en juin 2000[^3], par un rapporteur de la commission des Affaires juridiques, Donald Neil MacCormick :

« En ce qui concerne les délits d’opinion, l’immunité n’a, le plus souvent, pas été levée ( y compris dans des affaires concernant M. Le Pen ), sauf dans les cas où l’opinion exprimée était considérée comme constituant une violation de la législation sur la négation de l’holocauste ou un délit ou un acte délictueux à relents antisémites. »

4. Elle n’a jamais comparé les prières de rue à l’occupation allemande. À entendre Florian Philippot, ce parallèle serait une invention de journaliste. Il suffit de se reporter à l’intégralité des propos incriminés pour constater que Marine Le Pen ne s’est pas contentée de dénoncer une occupation de l’espace public pour des prières, ce qui constitue une entorse à la laïcité qu’elle ne dénonce jamais quand elle est le fait de catholiques intégristes (commandos anti-IVG ou exorcistes de Civitas). Parlant de musulmans priant dans la rue, elle a bel et bien déclaré : « Je suis désolée, mais pour ceux qui aiment beaucoup parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c’est une occupation du territoire. Certes, y’a pas de blindés, y’a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants. » Ce faisant, elle a implicitement contribué à la banalisation de l’Occupation, qui a valu dernièrement à son paternel une condamnation pour « contestation de crime contre l’humanité » : si le fait d’occuper la rue pour prier est comparable à l’occupation allemande, c’est donc que cette occupation n’était pas si terrible qu’on l’a dit…

Illustration - Les grosses ficelles de <br>Marine Le Pen

5. La plainte qui la vise émane d’une seule association musulmane. Seul le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a porté plainte contre ses propos, affirme Marine Le Pen, qui, pour assimiler cette association à une organisation jihadiste, cite aussitôt le propos de l’un des animateurs de cette association censée (à supposer que la citation soit véridique) discréditer radicalement le CCIF. Et par ricochet la plainte qui la vise. Celle-ci est toutefois instruite par le parquet et l’on compte au moins une autre partie civile que, par calcul, Mme Le Pen ignore : le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) qui, depuis l’origine du FN, mène un combat judiciaire utile, souvent couronné de succès.

6. Victime d’un délit d’opinion, elle défend la liberté d’opinion. C’est très abusif. Marine Le Pen défend uniquement la liberté d’expression de ses amis politiques (l’ensemble de l’extrême droite), de ses proches et de son clan. En revanche, tous ceux qui ont le tort d’émettre sur elle et son parti une opinion non conforme à l’image « dédiabolisée » qu’elle tente d’afficher sont quasi systématiquement traînés devant les tribunaux : intellectuels, journalistes, responsables politiques… la liste est longue.

  • Pas plus tard que le 26 juin dernier, elle a perdu en appel un procès en diffamation dans lequel elle refusait à Patrick Lozès le droit de dire « que Marine Le Pen est la première communautariste de France, car elle prône la défense d’une “communauté” française arbitraire et fantasmée, qui serait menacée par les Français de la diversité, et en particulier par les Français musulmans » , rappelle l’ancien président et fondateur du Cran, dans un communiqué.
  • Le 25 juin, elle a obtenu la cassation d’un jugement de la cour d’appel de Paris qui la déboutait d’une plainte contre Eva Joly, pour des propos que la candidate d’EELV avait tenus sur elle juste avant le premier tour de l’élection présidentielle.
  • Le même jour, Raquel Garrido, avocate de Jean-Luc Mélenchon, était mise en examen à la demande de Marine Le Pen pour avoir, en tant qu’avocate de son client, expliqué à l’AFP les raisons pour lesquelles M. Mélenchon venait d’assigner Mme Le Pen par citation directe (procédure qui suppose que l’auteur soit déjà identifié et les éléments de preuve déjà constitués) dans l’affaire des faux tracts de Hénin-Beaumont. « Dans le monde idéal de Marine Le Pen, ses victimes n’ont pas le droit à un avocat » , résume très bien Raquel Garrido sur son blog. Ce n’est pas en effet le comportement de quelqu’un qui prétend défendre la liberté.

    Que Marine Le Pen ait choisi de se poser en victime tout en réitérant ses propos, qu’elle se saisisse de cette poursuite judiciaire pour se poser en adversaire encore plus résolue de l’islam sur le territoire national, relève d’un choix politique. Le sien. Celui-ci obéit à des considérations avant tout tactiques. La popularité montante de sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, parmi les militants et sympathisants les plus attachés à la vieille ligne lepéniste anti-immigration, n’y est pas étrangère. Cela n’oblige pas pour autant ceux qui l’interviewent à gober tous ses mensonges.

[^2]: Jean-Marie Le Pen a été le premier député européen à perdre son immunité parlementaire pour des propos réputés politiques, en 1989. Elle lui a été retirée par la suite à deux autres occasions au moins. Bruno Gollnisch s’est également vu retirer son immunité par deux fois. L’immunité a été levée pour bien d’autres élus.

[^3]: Il y a donc treize ans, ce qui autorise quelques évolutions, mais l’essentiel y est.

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